Que faire des bureaux bruxellois, et pourquoi serait-il exclu d’y faire (un peu de) logement public bon marché?

Après la crise sanitaire, les grandes entreprises et administrations s’empresseront de renégocier les baux en cours, ou de demander une réduction des surfaces louées. Sur les 13 millions de mètres carrés de bureaux existants, 5 ou 6 millions deviendront donc … inutiles. Que va-t-on faire de tout cet espace ? Quels types de conversions envisager ?

Ces quelques questions ont été posées le 5 décembre 2020, lors d’une séance d’information relative à l‘impact de la crise sanitaire sur le parc de bureaux bruxellois. Le débat était organisé par Alain Deneef, entrepreneur et spécialiste des questions urbaines. Les intervenants étaient Sophie Coekelberghs – chargée de mission chez perspective.brussels (Observatoire des bureaux) – et Thomas PolsterHead of Strategic Consulting pour Cushman & Wakefield – société internationale de conseil en immobilier d’entreprise.

Les 28 étages des tours Proximus – construites entre 1994 et 1996 – totalisent 100.000 m2 de bureaux que se partageaient autrefois 6.000 employés. Aujourd’hui, ces deux tours sont pratiquement vides. Et, au-delà de la crise sanitaire – avec la généralisation du télétravail à 3 j./semaine – ils resteront largement inutilisés (-50%). Creative Commons, CC-BY-SA.


1. Comment les bureaux ont grignoté la ville …

Avant d’entrer dans vif du sujet, il n’est peut-être pas inutile de faire un bref rappel historique. À Bruxelles, la montée en puissance de la fonction « bureau » remonte à l’Expo58 : à l’époque des boulevards sont percés, des parkings construits, et des tours de bureaux apparaissent dans le paysage. Après la Tour Martini (1958), on érige la Tour Madou (1965), le Centre administratif de la Ville de Bruxelles (1967-1971), la tour Phillips (1967-1969), la Tour des Finances (1968), la tour Midi (1968) et les tours WTC 1 et 2 (1973-1974).

De 1949 au début des années 1970, le nombre de mètres carrés de bureaux quintuple : il passe de 615 000 à 3 300 000 mètres carrés. En 1973, c’est la crise pétrolière : le secteur de la construction est à l’arrêt, mais, avec l’effondrement du tissu industriel, le « bureau » commence à être utilisé comme levier de revitalisation économique ; et est pressenti pour devenir la fonction économique dominante …

Au tournant du siècle, le parc de bureau finit par dépasser les 10 millions de mètres carrés. La Région se dote alors d’un Observatoire des bureaux, chargé de protéger les quartiers d’habitations en cours de « grignotage ». Et elle adopte enfin – en juin 2001 – le PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol) qui vise à établir un équilibre entre différentes zones d’affectation : les zones administratives, les zones d’habitat, les zones d’industries urbaines etc.

2. Plan régional d’affectation du sol

À la même époque – explique Sophie Coekelberghs – apparaît le BBP (Bureau Bruxellois de la Planification), dont une des principales missions est l’observation sectorielle du territoire. Dans certains cas, des seuils sont fixés – en termes de nombre maximal de bureaux autorisés par quartier – mais ce n’est pas le cas partout.


Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS). Source : BruGIS

Au départ, le PRAS définit – au travers des “zones administratives” – des lieux où les bureaux sont autorisés sans limite  : Quartier Nord, Quartier Européen, Est du pentagone, et une série de quartiers décentralisés situés le long des grands axes d’entrée dans le ville, comme la rue de Stael, le Rue Colonel Bourg et l’avenue Marcel Thiry. Des surfaces maximum sont ensuite été fixées dans le PRAS. L’observatoire des Bureaux – qui jusque-là faisait essentiellement du diagnostic – se transforme alors en un outil d’évaluation et de mise en œuvre des prescription du PRAS.

Le taux de vacance global pour l’ensemble de la RBC était en 2018 de 7,5%.

Aujourd’hui, le parc de bureaux bruxellois avoisine les 13 millions de mètres carrés, avec un taux de vacance global qui – en 2018 – était déjà de 7,5%, mais qui (bien que l’observatoire des bureaux ne dispose pas encore de chiffres de 2020) pourrait bien avoir quadruplé ou quintuplé …

3. Après la Covid-19, que faire de ces millions de mètres carrés inutiles ?

Au terme de la discussion de  samedi dernier, il est apparu que sur les millions de mètres disponibles, il y aurait beaucoup de place pour … continuer à faire ce qu’on avait déjà prévu de faire : c’est-à-dire des espaces de location à la demande, du coworking, des lieux de travail communautaire etc. « Les tendances sont là – affirme Tamas Polders – on voit très bien où on va« .

  • Des espaces de location “à la demande”. On a une multiplicité d’espaces – explique Polders – qui vont être occupés de façon fluide par des employés qui n’ont pas de postes attribués. (…) C’est un modèle qui fonctionne très bien et qui est plébiscité par les employés »
  • Des lieux « communautaires » distribués sur le territoire et permettant aux gens de travailler à proximité de leur domicile.
  • Des quartiers dédiés des métiers du numérique : comme le quartier Nord..
  • Des projets d’occupation temporaire : des espaces d’innovation urbaine, utiles pour redorer l’image des quartiers.
  • Des bureaux à convertir en logements (aux prix du marché)

Après quoi il restera encore d’immenses volumes disponibles : 10% du parc (à la louche) selon Alain Deneef … Mais, une option semble d’emblée être évacuée du débat, lors de cette réunion du 5 décembre : « le logement social« . Pourquoi ?

Projet de conversion en « logements aux prix du marché » (Rue Colonel Bourg).

4. Quid de « l’impossible conversion en logements sociaux » ?

« En ce qui concerne la reconversion de bureaux en logements – explique Sophie Coekelberghs – c’est évident que ce n’est pas du tout, du tout, une façon de créer des logements abordables« . Et – à en croire l’Observatoire des Bureaux – la raison serait d’ordre purement technique …

« Il y a beaucoup de surcoûts. Parfois, il y a des étages qui sont rajoutés pour rentabiliser davantage les opérations… Mais, aujourd’hui, les logements issus de la reconversion des bureaux – logements proposés à titre d’investissement immobiliers – ça ne répond pas du tout à la demande de logements abordables. Un immeuble vient d’être racheté par “Inclusio” ; opérateur privé qui a une vocation sociale. Un immeuble qui a été transformé en logements sociaux. Mais, c’est l’exception” (Sophie Coekelberghs, perspective.brussels, le 5 décembre 2020).

L’immeuble dont parle Sophie Coekelberghs est un ensemble de 8000 mètres carrés, situé à Woluwe-Saint-Lambert, et transformé par Inclusio en 79 logements « à finalité sociale« , et loué à l’agence immobilière sociale de la commune. Une partie de l’enveloppe « logement social » de la commune de Woluwe-Saint-Lambert servira donc à payer les actionnaires de cette nouvelles « société à visage humain » …

Une question me taraude : s’il est rentable pour cet opérateur privé (capitalisé à hauteur de 150 millions d’euros) de convertir un immeuble de bureaux en logements abordables et de les louer à une Agence Immobilière Sociale (AIS), pourquoi ne serait-il pas viable pour une administration publique de réaliser la même opération, à plus large échelle ?

De là, me vient une deuxième question : la principale raison de la non-conversion des bureaux en logements sociaux est-elle d’ordre purement technique ? Ne doit-elle pas aussi être trouvée du côté de cette orthodoxie budgétaire qui impose aux administrations de ne s’engager dans de « grands projets » … qu’à condition de demander de l’aide au privé ?

« Ouvrir des services et des aménités … ce ne sont pas les pouvoirs publics qui vont le faire, c’est l’initiative privée.” (…) “Il faut une coalition, un regroupement d’acteurs privés qui va « donner des idées » aux décideurs politiques. (…) « Il y a cette tension dialectique entre le public et le privé. C’est cette tension qui est je crois féconde qui fait se transformer les quartiers ». (Alain Deneef, animateur du débat du 5 déc. 2020)

texte : M. Simonson

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