Densifier la ville pour sauver les campagnes ?

« Densifions nos villes, pour restaurer la biodiversité des campagnes » : c’est un point de vue avec lequel on peut être en accord ou en désaccord, mais qui a droit de cité. Ce qui est plus gênant, c’est quand ce discours est prononcé par quelqu’un qui joue à la fois le rôle de défenseur des milieux naturels de Belgique et … le rôle d’acteur urbanistique bruxellois (ayant donc un intérêt direct à négliger la question de la nature en ville).

Cette personne c’est H.D. : ex-éminence grise de Charles Picqué, il est aujourd’hui président d’une association de naturalistes, administrateur de la SAU (en charge de grands projets de densification urbaine) et CEO d’une entreprise financée par la ville et la région, qui s’apprête à remodeler le plateau Heysel …

Passionné d’ornithologie depuis le début des années 1980, il aime la nature (c’est indéniable) et on peut même ajouter (sans ironie) qu’il aspire à une forme de justice environnementale. Seulement, voilà, son seul problème c’est que – en dehors de ses heures de balades champêtres et de militance écologique – il endosse d’autres fonctions dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles ne font pas bon ménage avec son engagement militant. Mélange des genres. Cumul de rôles contradictoires…

Trajectoire d’un ‘homme de réseau’

Des rôles, il en a endossés beaucoup au cours de sa vie professionnelle. Au début des années 2000, ce juriste de formation a été échevin à Saint-Gilles, directeur de cabinet en charge de l’Aménagement du territoire et administrateur de multiples structures publiques ou parapubliques. À l’époque, il assumait simultanément 11 mandats, dont 7 mandats rémunérés …

Après son revers électoral de 2006, il abandonne la politique saint-gilloise, démissionne de son poste de directeur de cabinet et se lance corps et âme dans un nouveau projet : le réaménagement de la ‘zone prioritaire’ du Heysel au sein d’EXCS (une société anonyme financée à 50% par la ville et à 50% par la Région). Elle prend, en 2014, la forme d’une coopérative rebaptisée Neo. H.D. en est le CEO. Il n’est cependant payé par Neo, mais par le Parc des Expositions (Brussels Expo). Vous n’y comprenez rien?  C’est normal. C’est pas très transparent.

Un pied dans une S.A. de promotion immobilière, un pied dans un OIP en charge de l’aménagement urbain (Illustration : openthebox.be)

Seulement voilà : un ex-mandataire public propulsé à la tête d’une structure para-publique et qui se voit attribuer le titre ronflant de “CEO” reste (malgré tout) tenu au respect de règles de comptabilité publique (en vertu de l’article 11 de l’Ordonnance du 27 février 2014). H.D. l’apprend à ses dépens, en 2017, lorsque la Cour des Comptes l’épingle pour des dépenses injustifiées et pour non-respect de la législation sur les marchés publics.  “J’étais mandataire public sans le savoir”, concède-t-il à La Capitale.

Là-dessus, le CA de Neo s’est mis en règle, a justifié les dépenses injustifiés, a clôturé les cartes bancaires illégales et a légèrement rectifié ses pratiques en matière de marchés publics. Mais, malgré ce mauvais bilan en matière de gouvernance publique, H.D. reste en place …

Le combat écologique de H.D. …

La même année, en septembre 2017, il ajoute une corde à son arc et rejoint la tête du CA d’une grande association de naturalistes. En Wallonie, la nouvelle passe un peu inaperçue ; mais à Bruxelles c’est la douche froide pour des centaines de militants écologistes affiliés au mouvement. Dans le contexte ultra-sensible de la réforme du CoBAT, et de l’apparition des PAD (Plans d’Aménagement Directeurs), cette triple casquette de mandataire public, promoteur immobilier et président de cette association, fait peser sur lui de sérieux soupçons de conflits d’intérêts ; et crée d’énormes dissensions au sein du milieu naturaliste.

Aujourd’hui, quand H.D. prend la parole dans son édito militant et explique qu’il faut densifier les villes, pour sauver campagnes, qui parle? Le haut-responsable du mouvement naturaliste, le responsable de Neo ou l’administrateur de la SAU en charge de la réalisation des Grands Projets, tels que les PAD Mediapark et Josaphat ? Il doit y avoir un peu des trois. Et, c’est justement ça le problème …

Il est possible que – demain – la Région de Bruxelles-Capitale soit poursuivie pour “inaction face à la crise écologique” (c’est en tout cas ce que prévoit une association comme Klimaatzaak vzw). En prévision de ce jour-là, il serait peut-être bon de s’assurer (au minimum) que les plaidoiries de la partie civile et de la partie adverse ne soient pas écrites, en partie, par la même plume …

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La densification urbaine dans le monde d’après

Au-delà de ces questions de contexte – relatives au cadre (biaisé) du débat sur la « densification urbaine » – il y a des questions de fond tout à fait légitimes dans les deux camps (qui peuvent et doivent aujourd’hui être traitées sur des bases saines et démocratiques) …

Pendant les années 2010, le discours sur la densification a répondu (en partie) à des préoccupations urgentes et légitimes : la nécessité de freiner l’étalement urbain, de réparer les “ratés” du tissu urbain ou encore de désengorger Bruxelles en rapprochant les gens de leurs lieux de travail …

Oui, mais, voilà : la société a changé depuis 2010. Aujourd’hui, les prévisions démographiques sont revues à la baisse, les politiques destinées à accroître l’attractivité urbaine montrent leurs limites … et un immense mouvement social cherche à forcer la classe politique à sortir de sa léthargie et à répondre enfin à l’urgence écologique : crise climatique et crise de la biodiversité. À cela vient aujourd’hui s’ajouter la nouvelle donne sanitaire …

Dans ce contexte, on peut vouloir densifier certaines zones déjà construites. Mais chercher à sacrifier des espaces de nature (friches, dents creuses etc.) pour créer de nouveaux quartiers mixtes composés majoritairement de logements de standing est tout à fait anachronique et va à l’encontre de tout ce dont cette ville aura besoin dans les prochaines décennies : des services écosystémiques préservés, des espaces de bureaux reconvertis (en lieux de production et en logements), de grands espaces publics non-minéraux, des températures soutenables et des emplois liés à la production alimentaire …

Texte : M. Simonson


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