Pourquoi (et comment) faire de Schaerbeek une commune hospitalière

L’État est occupé à démembrer des pans entier de l’aide sociale, à commencer par l’accueil des étrangers. Et, il compte ensuite sur « l’initiative privée » pour réparer les dégâts. Face à lui, une société civile hyper-mobilisée sur la question de l’accueil des migrants, mais désunie et en manque d’ambition politique. Les communes hospitalières entendent répondre à ce problème en partant de la base : les conseils communaux.
A la base, l’accueil des étrangers en Belgique, c’est ça : un service public en lien avec des acteurs de la société civile et des juridictions administratives jouant le rôle de contre-pouvoir. Mais, depuis trois ans, un autre « modèle » s’ajoute en surimpression sur les institutions chargées de l’asile …
 
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Depuis trois ans, l’État belge – alors même qu’il ferme des centres Fedasil – délègue une partie de l’accueil des étrangers à des opérateurs privés, pour des contrats de 12 mois renouvelables. Ces firmes privées ont donc aujourd’hui pour mandat – au même titre qu’une ONG comme la Croix-Rouge – d’offrir un hébergement, une aide matérielle et un soutien psycho-social à des demandeurs d’asile. Certains acteurs de la société civile – comme Serge Noël (SOS Migrants) – voient la politique d’asile du gouvernement fédéral comme un terrain d’expérimentation …
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« Théo Francken, avant d’être un nationaliste, c’est un ultra-libéral. On utilise aujourd’hui la question des réfugiés et des sans papiers comme un laboratoire politique. » – Serge Noël, 1 décembre 2016, à l’antenne de Radio Panik
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Le « laboratoire politique » dont parle Serge Noël, c’est une société où l’État abandonne progressivement ses obligations en matière de service à la population, et fait en sorte que l’aide sociale soit davantage assurée par des structures privées et des acteurs du secteur marchand dont le but fondamental n’est pas de « rendre service ».

La marchandisation du secteur va de pair avec une dégradation de l’accueil. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le pedigree des partenaires de Fedasil. Parmi eux, se trouvent des sociétés d’hôtellerie et de soins à la personne (Refugee Assist, Senior Assist, Sept Lieues, Bridgestock), mais aussi une très grande société de sécurité et de gardiennage : G4S, accusée de violation des droits humains en Irak et en Palestine. Il est donc possible – aujourd’hui – pour un demandeur d’asile Irakien d’être « accueilli » à Gand ou à Turnhout aux bons soins de la firme qui l’a maltraité, persécuté et expulsé.

 

 

Les « initiatives citoyennes » : leurs mérites et leurs limites

Les initiatives citoyennes en faveur des migrants ont le grand mérite de mettre les gens à l’abri et de leur éviter l’enfermement. Mais, elles ne parviennent pas résoudre le problème le plus fondamental : l’attaque du secrétariat à l’Asile et à la Migration envers les services publics dont il a la tutelle. Si rien n’est fait, les initiatives citoyennes peuvent même déresponsabiliser les pouvoirs publics et renforcer la ligne du gouvernement fédéral, en montrant qu’il est possible de faire fonctionner un service d’accueil en lui coupant les vivres.

Les responsables de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés semblent être conscients de ce problème : « La plateforme – expliquent-ils – ne souhaite pas se substituer à l’Etat belge, qui a une série d’obligations envers les demandeurs d’asile selon la législation  européenne et internationale. (…) Aujourd’hui, la Plateforme veut s’inscrire dans la durée pour se construire sur base de cette belle solidarité envers les demandeurs d’asile et de cette mobilisation inédite des citoyen.ne.s. Elle veut également s’interroger sur les origines de cette crise et sur les changements nécessaires pour qu’elle ne se reproduise plus dans le futur » (source: bxlrefugees.be).

Crédit Photo: Michel Discart, CC-BY-SA

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Forcer les pouvoirs publics à jouer endosser leurs rôles

La solution – estime Carolina Visconti, militante pour les droits des sans papiers et des demandeurs d’asile – c’est de compléter les initiatives citoyennes de ce type par des propositions politiques qui puissent être adoptées par nos mandataires locaux …

« Ce sont les citoyens qui ont pris en charge cet accueil ; et, je trouve ça bien que les gens se bougent et qu’il y ait ce réseau de solidarité. Mais le réseau de solidarité devrait être complémentaire par rapport au travail de l’administration publique (…). Il y a beaucoup de Schaerbeekois qui hébergent. Donc, les gens bougent assez. ça c’est bien. C’est juste que si ces initiatives pour l’hébergement ne sont pas soutenues par des revendications politiques, elles ne vont pas aboutir, elles ne vont pas forcément changer la situation. Et puis, ça déresponsabilise les administrations publiques, ça leur rend même service parce qu’elles ne doivent pas s’en occuper (…). Après, je comprends le but ; parce que ces gens se faisaient rafler tous les jours. Je sais que le but principal c’est de les mettre en sécurité par rapport aux rafles »  – C. Visconti, collectif « Schaerbeek Commune Hospitalière »

C’est ainsi que s’est formé le collectif « Schaerbeek Commune hospitalière » en septembre de l’année dernière (sous l’impulsion du CNCD). Il rassemble aujourd’hui plus de 200 citoyens décidés à faire en sorte que l’administration communale prenne des mesures concrètes, sur son territoire, en faveur de l’accueil des sans-papiers et des demandeurs d’asile.

« ça construit un peu du tissu social (…) Des gens qui se rendent compte de la situation mais qui ne savent pas quoi faire, eh bien ils peuvent s’engager dans leur commune. ça crée des liens entre citoyens, et entre associations parfois. » – C. Visconti.

 

Comment faire de Schaerbeek une commune hospitalière

Une commune hospitalière, qu’est-ce que c’est ? C’est une commune qui par le vote d’une motion devant le conseil communal s’engage à faire de la « sensibilisation sur les questions migratoires » ainsi qu’à « améliorer l’information et l’accueil des sans papiers et des demandeurs d’asile, à leur faciliter les démarches et à les aider à faire respecter de leur droits » (Voir: www.cncd.be). Il s’agit notamment de défendre un meilleur accès au logement et à l’aide médicale urgente. À Schaerbeek, le mouvement suscite, depuis l’automne 2017, une très forte mobilisation citoyenne. Le collectif regroupe aujourd’hui plus 200 citoyen.n.es schaerbeekois et de travailleu.r.se.s sociaux actifs sur Schaerbeek.

La commune leur a proposé de constituer un groupe de travail pour co-construire la Motion ensemble. « Notre combat en tant que comité local est de faire rentrer dans cette Motion toutes nos revendications et que la commune et l’administration locale prennent des engagements concrets et spécifiques basés sur la réalité du territoire Schaerbeekois.

Crédit photo : CNCD

« Si les compétences en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des personnes étrangères sont des compétences fédérales et européennes, et que l’intégration est une compétence régionale, les collectivités locales sont le dernier maillon de cette chaîne au plus proche des citoyens dans l’accueil, l’hospitalité et le respect du droit des migrants. Le gouvernement fédéral, vous le savez, a décidé ces dernières années toute une série de mesures restrictives et a choisi, aujourd’hui de continuer à durcir le ton par des actions répétées : rafles, arrestations dans les transports en commun ou en rue, confiscation honteuses, violence disproportionnée, intimidations en tout genre etc… En tant que citoyens, nous sommes de plus en plus nombreux à nous indigner et à nous révolter face à ces actes. Par cette campagne, nous avons choisi de nous mobiliser pour marquer notre désaccord. Nous avons choisi de nous mobiliser pour demander une politique migratoire à visage humain » (Extrait de l’interpellation communale du 20 décembre 2018).

L’interpellation contenait quatre points d’attention :

  • Le collectif demande premièrement que la commune soutienne et améliore l’accès à un logement décent, « droit reconnu par la Constitution, qui s’applique à toute personne sur le territoire belge ».
  • Deuxièmement : qu’elle renforce l’accès des personnes sans papiers à l’aide médicale urgente.
  • Troisièmement : qu’elle favorise l’accès à la scolarité, pour les enfants en séjour précaire.
  • Enfin, quatrièmement : qu’elle garantisse la protection des victimes et restaure la confiance envers la police.

« Les arrestations des personnes sans papiers – précisent les auteurs de l’interpellation – signifient, souvent, l’expulsion vers des pays où leur vie est en péril. Notre commune – poursuivent-ils – ne peut en aucun cas collaborer à cela et nier les droits humains consacrés dans les conventions de droit international et dans notre Constitution. Il ne peut y avoir d’arrestations au domicile sans le mandat d’un juge, ni d’arrestations à la sortie de certains lieux qu’il s’agisse des occupations, des écoles, ou des lieux de culte ».

Prochaine étape : la rédaction d’une motion à introduire au Conseil Communal de Schaerbeek. Ce sera l’objectif de la prochaine rencontre de « Schaerbeek Commune hospitalière » qui se tiendra le 5 février 2018 à 17.30 dans les locaux de Vie féminine, au numéro 176 de la chaussée de Haecht.

 

Sources

 

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