Transparencia.be : outil de défense du droit à l’information

Le saviez-vous ? Chaque administration a l’obligation légale de soumettre aux citoyens qui leur en font la demande les documents ou informations dont elle dispose. C’est le principe de publicité de l’administration. Il est garanti par un article constitutionnel (art. 32) et ne connaît que de très rares exceptions, en matière de vie privée et de sécurité notamment.

Or – ce n’est un mystère pour personne – il arrive parfois qu’une administration hésite à soumettre un document sensible aux citoyens qui leur en font la demande. Dans ce cas, c’est la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) qui intervient pour trancher la question : apporter un avis, à la fois au citoyen qui demande qu’on lui soumette le document et à l’administration qui le lui refuse. 

Seulement, voilà. Il arrive de temps en temps qu’une administration – aujourd’hui, la COCOF, hier la Chancellerie du Premier Ministre – oublie de (re-)nommer les membres de leur commission indépendante (CADA). En conséquence de quoi la commission ne fonctionne plus et les demandes s’accumulent : soit l’administration « oublie » de leur donner suite, soit elle les envoie vers ses propres services juridiques et finit alors par trancher par elle-même la question de savoir si elle a raison (ou pas) de garder ses documents pour elle. Autant dire que vous ne partez pas gagnant. Dernier recours : la demande au Conseil d’Etat. Mais, il faut s’armer de patience. La procédure prend, en moyenne, quinze mois. 

Administration communale de Schaerbeek – service de la population

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C’est ainsi que – au sein de l’association AntiCor Belgique – est née l’idée de créer une plateforme web qui permette aux citoyens de formaliser publiquement les demandes qu’ils adressent aux administrations et de mettre enfin l’information en commun, avec un suivi public des conversations. La plateforme – baptisée Transparencia (www.transparencia.be) – a vu le jour en octobre 2016, et a déjà amené quelques petits bouleversements dans le monde politique schaerbeekois. Pour en savoir plus, on a interviewé Christophe Van Gheluwe – l’initiateur de l’outil – qui s’est également fait connaître en lançant Cumuleo, le « baromètre du cumul des mandats ».

« Avec nos initiatives, Cumuleo, Droit de regard et autres, chacun de nous a été confronté massivement au non-respect de l’obligation légale de transparence de la part des administrations. C’est cela aussi qui a motivé la création de Transparencia. Au lieu de faire des demandes aux administrations chacun de son côté et de se voir dans 99% des cas opposer un refus, ou ne pas recevoir de réponse, eh bien on les fait passer via Transparencia.be. C’est automatiquement public. C’est-à-dire que toutes les réponses et non-réponses des administrations sont publiées sur le site, rendues publiques. Donc, ça rééquilibre les forces entre les administrations et les citoyens. »

Le suivi des correspondances – sur www. transparencia.be – nous apprend par exemple qu’une série d’administrations communales sont (très) réticentes à l’idée de publier la liste des mandats désignés par leurs conseils communaux. Sur les 19 administrations communales de la région bruxelloise, seules trois communes – Saint-Gilles, Ixelles et Watermael-Boitsfort – ont accepté de rendre publique cette liste de mandats. Les seize autres municipalités – Schaerbeek, Evere, Saint-Josse, Bruxelles, Etterbeek, Molenbeek, Anderlecht, Uccle, Jette, Koekelberg, Berchem, Ganshoren, Forest, Auderghem et les deux Woluwe – n’ont pas répondu dans les délais légaux (30 jours) à la demande d’information qui leur a été faite. J’ai demandé à Christophe Van Gheluwe comment il expliquait ces refus de demandes d’accès aux documents publics …

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Interview de Ch. Van Geluwe, le 7 février 2017

 

EZ : Comment expliquez-vous ces blocages. Est-ce que ça tient à une culture du secret, ou à d’autres contraintes ?

Je pense clairement que c’est une question de « culture » : une culture qui veut que ce soit l’administration et le monde politique qui gèrent les choses. Et ça les insupporte que les citoyens viennent mettre leur nez là-dedans. Il y a vraiment une culture du refus de la transparence. On le voit bien dans le discours politique. Globalement, quand vous interrogez un politique sur la transparence, il trouve ça toujours magnifique et y est à 100% favorable ; et puis, on voit que – quand on fait une demande – c’est le refus total. (…). On pourrait citer un florilège de réponses et d’excuses que donnent les administrations pour ne pas avoir à répondre. A Schaerbeek c’est systématiquement « oui, mais ça provoque une surcharge », ce qui est un mensonge total (…). Derrière tout cela, qu’est-ce qu’il y a ? Il y a vraiment de l’abus massif d’argent public. On le constate quand on enquête, quand on creuse. Par exemple, dans le domaine de l’octroi de subsides (aux ASBL) il y a vraiment énormément de détournements d’argent. Et, c’est évidemment cela que le système politique et administratif protège en refusant cette transparence.

EZ : Ici, en matière d’octroi de subsides, vous pensez notamment au cas de l’ASBL Mondial Sport ?

Par exemple. Il y a deux types d’ASBL : il y a les ASBL qui font un vrai job social, utile à la population, et celles-là sont très importantes, probablement que ce sont même celles qui reçoivent le moins de subsides, et puis vous avez un tout autre type d’ASBL qui sont des structures vraiment montées pour capter des subsides. C’est un peu ce qu’on appelle le « périmètre élargi des partis ». Ce sont des structures qui gravitent autour des partis, des personnes qui gravitent autour des partis politiques et qui captent des subsides, qui captent des marchés publics. Et, derrière tout cela, il n’y a quasi rien quoi. Il y a des ASBL qui sont un peu des deux côtés aussi, qui ont une activité, mais on a l’impression qu’à chaque fois l’activité qu’elles font est une excuse pour se justifier dans des rapports (…) le fait qu’elles se voient octroyer des subsides. Et, ce n’est pas rien ces subsides. Ce ne sont pas quelques centaines ou quelques milliers d’euros. Ce sont des centaines de milliers d’euros : ça correspond au final à des sommes colossales qui sont utilisées dans toutes ces ASBL qui gravitent autour de la commune. (…)

[Dans le cas de Mondial Sport], il y a eu un refus de la COCOF de transmettre ces informations. En fait, c’est assez cocasse ce cas-là, car la COCOF a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA de la COCOF) pour lui demander un avis, etc. pour vérifier s’il devaient bien transmettre l’information. Et, il se fait que cette commission d’accès aux documents administratifs n’existe pas, que ses membres n’ont pas été nommés. Donc, en fait, c’est le service juridique de la COCOF qui va donner un « avis » sur la demande du document (que la COCOF elle-même refuse de transmettre). Donc, le conflit d’intérêts, là, il est juste gigantesque. Et, voilà. On a la COCOF qui refuse. Le Cabinet Vervoort refuse. Tout le monde refuse de transmettre les documents liés à l’attribution de subsides à Mondial Sport. Et, donc, ça augmente évidemment la suspicion sur les activités de cette ASBL puisqu’on voit que – du côté administratif – toutes les portes se ferment, et que c’est le blocage total. Donc, voilà, est-ce qu’il n’y a pas une volonté globale de protéger un système d’abus. C’est la question que nous posons. Et il faut continuer à investiguer. (…). Bref, tout ça ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Des cas comme cela, il y en a encore des dizaines et des dizaines. On le voit bien avec Cumuleo. Je crois qu’il y a plus de 600 mandats et professions que j’ai ajoutés et qui n’avaient pas été déclarés par des mandataires. Et, je n’ai pas encore mis en place les outils pour systématiser ce type de recherches. Donc, ça veut dire qu’au final si vraiment on travaille sur ce sujet-là, il y a probablement … on peut en trouver des milliers. On voit que c’est un épiphénomène autour d’Yves Goldstein. Mais, cette pratique est malheureusement courante.

Extrait. Lettre de la COCOF du 29 déc. 2016 à Ch. Van Gheluwe

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EZ : Que répondez-vous aux mandataires qui vous disent que – via des sites comme Cumuleo et Transparencia – on jette parfois inutilement la suspicion sur les autorités publiques ?

Effectivement, ce sont des remarques que j’entends. Paul Magnette a participé il y a quelques semaines à Charleroi à un débat où il s’est plaint de la « religion de la transparence ». Il a considéré que Cumuleo augmentait la défiance vis-à-vis du monde politique et alimentait le populisme. En fait, ils ne comprennent vraiment rien à la démarche, parce que c’est exactement l’inverse que nous faisons. Moi, je considère que c’est fondamental que l’on puisse à un moment retrouver la confiance entre les citoyens et le monde politique. C’est nécessaire pour que l’on puisse se rassembler autour de projets communs et développer la société, qui fait face à des défis majeurs, ça n’échappe à personne. Mais, pour s’attaquer à ces défis-là il faut se faire confiance, et il n’y a pas de confiance sans transparence. Donc, moi je considère que le travail que l’on fait – avec Cumuleo, avec AntiCor – est exactement l’antithèse du populisme. C’est justement essayer de retrouver ce lien de confiance. Qui le brise ce lien de confiance ? C’est le monde politique. Leur manque de transparence, c’est le terreau du populisme. (…) L’expérience nous a montré que la gestion publique et politique de la société a plus de failles, donc il faut obligatoirement être très exigeants par rapport à la transparence, pour mettre à plat ce système, pour mettre à plat tous ces abus, pour mettre à plat tous ces dysfonctionnements et après repartir avec quelque chose qui fonctionne mieux ».

 

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Depuis son lancement en octobre dernier, la plateforme a déjà permis l’introduction de 150 demandes d’information auprès des autorités publiques, dont 6 concernent directement la commune de Schaerbeek. Ce moyen de communication – encore assez confidentiel – pourrait très bien devenir dans les prochains mois et les prochaines années, une « vitrine » incontournable des administrations publiques, ainsi qu’un moyen de faire pression sur elles pour obtenir le respect (à Schaerbeek comme ailleurs) de ce fameux principe de « publicité de l’administration ». Si vous voulez introduire une demande auprès de l’administration communale – via Transparencia.be – il vous suffit de cliquer ici, de sélectionner l’administration à laquelle vous souhaitez vous adresser et de lui transmettre votre message. Celui-ci apparaîtra donc publiquement, ainsi que toute la correspondance que vous entretiendrez avec votre interlocuteur. Loin de surcharger et d’entraver le travail des administrations, ce moyen de communication pourrait bien les soulager d’une charge de travail inutile (celle qui consiste à devoir répondre plusieurs fois aux mêmes demandes) ainsi que de recréer de vrais rapports de confiance entre citoyens et structures politiques.

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