Bruxelles, enfin vélorutionnaire ?

La région bruxelloise commence enfin à se doter de pistes cyclables dignes de ce nom. Mais, on revient de loin, très loin. Un démarrage tardif qui ne s’explique pas seulement par l’attitude velléitaire des anciens gouvernements bruxellois, mais également par cette tendance de la Région à avoir voulu faire passer le réseau cyclable bruxellois pour plus avancé qu’il ne l’était …

Les aménagements publics bruxellois sont truffés de ces « solutions à la belge » qui défient les lois de la logique et de la vie pratique et dont la notoriété dépasse aujourd’hui nos frontières. Pour que nous, Bruxellois, commencions à prendre conscience de notre capacité hors-norme à développer ces solutions de fortune aux limites de l’absurde, il a fallu le concours d’un photographe étranger, David Helbich, auteur de « Belgian solutions« . Avant lui, on n’était pas tout à fait conscients de notre potentiel : le non-sens de certains aménagements urbains faisait sans doute tellement partie de notre quotidien qu’on finissait par ne plus le voir.

Pour ce Bruxellois d’adoption, ces aménagements absurdes, surréalistes, font partie de l’identité  de la ville. Il est possible de s’en accommoder et même d’y voir quelque chose d’attachant.  Ce qui est peut-être plus compliqué à supporter – de mon propre point de vue de Bruxellois – c’est le côté « maximaliste » de notre culture locale. Au fond – n’étant pas tout à fait prêts à assumer tout ce que cette ville contient d’absurde et d’inapproprié – d’aucuns ont parfois tendance à décrire la ville avec des mots qui ne correspondent … pas tout à fait à la réalité.

Exemple : un chevron accompagné d’un pictogramme vélo, on appelle cela – ici – une « bande cyclable suggérée ». Ne prenez pas la peine de demander aux gens de Bruxelles mobilité « où est la bande ? Où est le tracé », ils vous répondront à coup sûr : « à quoi nous aurait-il servi de suggérer ces bandes, si c’était pour finir par les tracer ? » Pas cons les mecs. Cela anéantirait en effet tous les efforts qui ont été faits pour suggérer qu’elles existent (ces bandes).

Chevrons déguisés en « bandes » (et bandes en « pistes »)

Bruxelles Mobilité n’utilise donc le terme de « bande cyclable » que pour désigner les aménagements au niveau de la chaussée, sans lignes blanches. « Bandes cyclables suggérées » renvoie, en effet, à la fois aux chevrons accompagnés de pictos et aux bandes colorées sans pointillés blancs. Mais – me demanderez-vous – qu’en est-il alors des vraies « bandes cyclables » (tracées avec des lignes en pointillés et un revêtement thermoplastique) ? Eh bien, elles ne sont pas considérées – dans la novlangue locale – comme des « bandes », mais comme des « pistes cyclables marquées », n’en déplaise aux gens pointilleux pour qui, en français, une « piste » signifie non pas « une portion de voirie carrossable avec une bande pour les vélos » mais un « chemin réservé à certaines catégories d’usagers » (en l’occurence, les cyclistes).

Vous n’y comprenez plus rien? C’est bien normal. Le but de la novlangue bruxelloise n’est pas de faire comprendre à autrui ce que l’on est en train de faire, mais plutôt de faire oublier que ce qui existe ne correspond pas exactement à ce qui était attendu. Le but c’est que la prochaine fois que vous serez à vélo sur un morceau de voirie vaguement coloré encombré de voitures en double-file … vous puissiez vous dire « oh, quelle belle piste cyclable ».

La terminologie un peu particulière de Bruxelles Mobilité a également pour avantage de grossir les chiffres du réseau cyclable bruxellois. Ainsi, en 2015, l’institution avançait le chiffre très optimiste de 178 km de « pistes cyclables ». Or, une très large proportion de ces « pistes » correspondent en réalité à ce que l’on appelle (dans la plupart des grandes villes européennes) « cycle lanes », « fietsstroken », « bandes cyclables » ; c’est-à-dire des aménagements réalisés au niveau de la chaussée, et qui ne sont séparés des voies de circulation automobile que par une ligne longitudinale et un marquage spécifique.

En résumé : nos chevrons se font passer pour les bandes (qu’ils ne sont pas) et nos bandes pour les « pistes » (qu’elles ne sont pas davantage). Sans doute peut-on alors se dire – en guise de consolation – que nos « fausses pistes » ont au moins le mérite d’être de « vraies bandes ». Eh bien, non, justement. Pas forcément ! Certaines de ces bandes cyclables bruxelloises qui se font passer en stoemelings pour des pistes ne méritent (non plus) le nom de « bandes ». Car, encore aujourd’hui, on trouve de nombreuses bandes qui font 130 cm ou moins … 20 centimètres de moins que la largeur minimale dans la plupart des autres villes européennes.

 

Une rue cyclable ?

Un autre exemple de « maximalisme bruxellois » en matière de mobilité vélo, c’est ce tronçon de l’avenue Louise sans revêtement de couleur et saturé de pictos « vélo » (voir : première photo en partant de la droite). La première fois que j’y suis passé, j’ai cru à une blague. Non, en réalité c’est une « rue cyclable », n’en déplaise aux grosses berlines allemandes qui s’impatientent dans votre dos, visiblement insensibles au pouvoir de « suggestion » de ce bel aménagement. L’idée de départ est pourtant excellente. Elle nous vient de Gand. L’administration gantoise invente – en 2011 – un nouveau type d’infrastructure mixte : une rue où les voitures sont tolérées, mais doivent adapter leur vitesse à celle des vélos, lesquels ont le droit de circuler sur toute la largeur de la chaussée. L’expérience à été reproduite dans de nombreuses villes de Flandre et des Pays-Bas avec pour point commun l’utilisation d’un revêtement thermoplastique de couleur vive, … et non de simples pictogrammes. Bruxelles n’a pas suivi.

Enfin, quand se croisent les rues, les bandes et les pistes … ça se complexifie : notamment à cause des problèmes de coordination entre la région bruxelloise et les communes. David Helbich était à ce point impressionné par toutes les complications que ça entraîne qu’il en a fait une exposition et a créé – sur son site web – une rubrique spéciale (Brussels Bike Solutions) qui compile les aménagements cyclables les plus improbables de la région. Quelques mois plus tard, le collectif « Vélosofiets » s’est amusé à mettre cela en scène sous la forme d’une vidéo.

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Un réseau qui s’étend …

Au vu de ce qui a été dit plus haut, on comprendra qu’en dépit des progrès réalisés en matière d’aménagements cyclables (Yser, Canal, Woeste, Cinquantenaire etc.) il ne soit pas possible – pour nous, Bruxellois – de compter uniquement sur les informations de Bruxelles Mobilité, qui a tendance à donner une représentation « embellie » du réseau vélo. C’est pourquoi il est utile de chercher à créer nos propres représentations « citoyennes » des infrastructures cyclables, en mettant en lumière les améliorations mais aussi les points faibles et les suggestions pour le futur. C’est ce que fait Vélo dossier : un projet participatif visant à épingler les problèmes d’infrastructure (routes dangereuses, mauvais raccordements, pistes qui ne mènent nulle part) et à mettre en route des procédures administratives pour exiger la mise en place d’infrastructures dignes de ce nom. A notre petite échelle, on a également voulu apporter notre pierre à l’édifice en réalisant deux cartes, qui ne demandent qu’à être enrichies : une carte des ICR (itinéraires cyclables régionaux) et une carte des infrastructures cyclables prévues à l’horizon 2020. Si vous voulez participer à leur développement, faites-nous signe !

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par Mathieu

 

Sources

Comments

  1. Plume

    Même Boitsfort soi-disant commune « verte ».
    – Traversée la chaussée de la hulpe devant la gare est impossible. Ils ont placé une barrière en plein milieu du passage pour les vélos !

    -en haut de la drève du duc, un grand panneau publicitaire cache l’arrivée des voitures de la droite (ben oui ! il faut bien capter l’oeil éventuel d’un chauffeur et cacher un éventuel vélo)
    -la piste cyclable de l’avenue delleur est impraticable (sauf devant l’hotel deville bien sur)
    – On a refait la chaussée de la hulpe pour les voitures et on a détérioré un peu plus le trottoir cyclable (dur à croire mais ils y sont parvenus !)
    -la rue des trois tilleuls plus d’arrêt de bus 95 sur le retour, nouveau macadame pour les voitures, rien pour les vélos ou pour protéger les enfants devant la pleine de jeux.
    on peut continuer comme ça…
    Par contre pour mettre un éclairage sur le stade de rugby qui transforme la forêt de soignes en pleine nuit en discothèque, on ne s’est pas posé bcp de questions…
    Je suis vert, mais là plutot de rage

  2. Catherine Piette

    En fait (je suis cycliste quotidienne) c’est le règne de la grande débrouille. Je suis très prudente, et depuis peu, grâce à mon vélo électrique,je m’offre le luxe de certains détours pour éviter des situations dangereuses (rond point effrayants comme montgomery et place meiser). Depuis 1984 et mes premiers déplacements à vélo à Bruxelles, j’attends la masse critique. Il y a certainement beaucoup plus de cyclistes qu’à l’époque, mais bon, franchement ça se fait attendre.Merci pour la carte.

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