Bruxelles au fil de l’eau

Dans le cadre du projet « Belgique, mode d’emploi« , nous mettons chaque semaine une nouvelle ressource à l’honneur. Aujourd’hui : l’eau. Refoulée de l’espace public, elle se rappelle parfois à nos bons souvenirs …
C’est une histoire que vous connaissez sans doute, que vous avez peut-être déjà entendue étant enfants dans la bouche de vos parents ou grands-parents : Bruxelles était autrefois une ville d’eau. C’est l’industrialisation de la capitale qui l’a progressivement fait disparaître de son paysage (et de l’imaginaire de ses habitants). Dans le seconde moitié du XXème siècle, la rivière souillée fut en effet voûtée et recouverte de voies de communication. Les bassins versants – anciens éléments structurants de la ville – furent peu à peu oubliés au profit de nouvelles structures techniques.  Bref, l’eau tomba aux mains de techniciens, qui l’assainirent, la distribuèrent, l’acheminèrent jusqu’aux robinets de chaque foyer. Et, l’accès à l’eau devint quelque chose de si simple, si banal, si familier qu’on en oublia un peu … l’importance.

Carte des fontaines d’eau potable (créée via l’iframe de Bruxelles, Mode d’emploi)
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Aujourd’hui – en réaction aux pressions qui tendent à transformer l’eau en une « ressource technique » ou, pire, un simple bien marchand – des citoyens et associations se mobilisent à nouveau pour défendre l’accès à l’eau – comme « droit fondamental » – et pour souligner la nature de l’eau comme « bien commun ».  Un mouvement qui s’est formé à partir de la fin des années 2000, à l’époque de la mise en place du bassin d’orage de la place Flagey.
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De par le monde et dans les instances européennes qui posent les cadres de la gestion de l’eau, la tendance est à vouloir donner une valeur économique à cet élément essentiel pour la vie. A Bruxelles, bien qu’il y ait une volonté affichée de résister à cette tendance, ce risque existe comme ailleurs. Or, militer pour que l’eau soit reconnue en tant que bien commun implique, selon nous, au minimum, qu’elle ne devienne pas un bien marchand – sur lequel on fait du profit – et que l’accès à l’eau potable soit ‘universel’, c’est-à-dire garanti pour tous, en quantité et en qualité suffisantes. Ceci dit, les services liés à la potabilisation de l’eau, son acheminement jusqu’à la ville, sa collecte par l’égout et son épuration ont un coût. Ces coûts sont en constante augmentation, notamment à cause des traitements de potabilisation plus sophistiqués, du renouvellement des infrastructures, des normes d’épuration toujours plus sévères, du type de pollution des eaux de nappes comme des eaux usées, etc. (Source : EGEB-SGWB)

Cette impasse dans laquelle nous nous trouvons montre que la solution ne réside pas (ou du moins pas uniquement) dans le développement de techniques de plus en plus sophistiquées ; mais plutôt dans la mise en place d’un maillage de solutions simples, décentralisées, adaptées à la topographie bruxelloise et susceptibles d’être mise en place par des citoyens ordinaires, au sein de leur propre domicile. Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre de Laurent et Françoise, qui habitent dans le bassin versant de la Woluwe ; plus exactement dans la vallée du Watermaelbeek, à Auderghem. Il y a trois ans, le couple a profité des travaux de rénovation de leur maison pour y installer un système de récolte d’eau pluviale pour les sanitaires, la machine à laver et l’eau de jardin. Conséquence : leur consommation a été divisée par trois. “On était à 100 mètres cubes par an, pour nous deux. On est passé à 33”, explique Françoise.

Considérations économiques mises à part, le fait d’aménager chez soi un système de récolte d’eau de pluie – comme celui de Françoise et Laurent – revient à rendre un service à la collectivité. En effet, additionnées à d’autres, leur citerne joue un rôle de « tampon » dans la rue, le quartier et plus largement toute la vallée du Watermaelbeek : c’est-à-dire qu’elle ne leur permet pas seulement d’économiser l’eau de ville et de faire des économies, mais aussi aussi de réduire les risques de saturation du réseau d’évacuation, au niveau des zones inondables du quartier. “Si toutes les maisons dans les bassins versants étaient équipées de ce genre d’installation – souligne Laurent – il y aurait beaucoup moins de problèmes d’inondation.”

Illustration : Dominique Nalpas, "De la solidartié de bassin versant à une gestion de l'eau par vallée : la place des particuliers"

Source : D. Nalpas (EGEB-SGWB)

« [L]ors de pluies intenses, il n’est pas rare de constater des inondations dans les vallées bruxelloises. Comprendre que le voisin de l’aval est inondé par les eaux qui ruissellent sur sa propre toiture est un premier pas pour une solidarité entre ceux qui subissent les conséquences et ceux qui regardent les dégâts d’en haut. Tous deux devraient avoir à coeur de voir la situation s’arranger et de prendre des mesures adéquates. Ces mesures spécifiques seront d’autant plus adéquates qu’elles intègrent l’environnement topographique et hydrique local ». (Kevin De Bondt, in Bruxelles en Mouvements n°247-248, avril-mai 2011)

La région et les communes bruxelloises n’y gagneraient-elles pas à offrir de véritables incitants financiers aux particuliers qui choisissent de mettre en place des systèmes de récolte d’eau pluviale ? Aujourd’hui, la Région reconnaît dans son Ordonnance-cadre le fait que l’eau constitue un patrimoine « commun », mais les décideurs politiques ne s’intéressent encore que fort peu aux solutions qui émergent des partenariats entre pouvoirs publics et  citoyens : plutôt que de soutenir les petites infrastructures décentralisées, on continue à concentrer les investissements dans la construction de grands collecteurs et bassins d’orage. A Watermael-Boitsfort, par exemple, à quelques centaines de mètres de la maison de Françoise et Laurent : deux immenses bassins sont actuellement en cours construction. Ils doivent servir à récolter les ruissellements du quartier des Trois Tilleuls et du plateau du Square de l’Arbalète vers la place Keym et les Pêcheries.

 

 


Vers une gestion intégrée des ressources en eau ?

Dans un article publiée en juillet 2015, dans la revue “Brussels Studies”, une équipe de chercheurs menée par le géographe Tom Goosse rappelle les fragilités du cycle hydrologique bruxellois, et les défis qui attendent la Région en matière de gestion de l’eau : aujourd’hui les problèmes du cycle hydrologique y sont gérés « en bout de chaîne », en faisant peu de cas du milieu naturel. C’est-à-dire que la Région se donne les moyens de répondre aux “dysfonctionnements” sans s’attaquer aux causes. On s’attaque aux symptômes, mais on fait mine d’ignorer la maladie. La ville doit – selon eux – se donner les moyens de procéder à une transition vers un autre modèle de gestion : la gestion “en bout de chaîne” doit laisser la place à une GIRE (Gestion intégrée des ressources en eau), c’est-à-dire une gestion « fondée sur l’idée que l’eau fait partie intégrante de l’écosystème, qu’elle constitue une ressource naturelle et un bien social et économique dont la quantité et la qualité déterminent la nature de l’utilisation » (Patrick Meire et al.). Les auteurs ajoutent que « pour parvenir à une GIRE, il convient de tenir compte d’un vaste éventail de paramètres naturels et urbains affectant le cycle de l’eau en ville : topographie, couvert végétal, niveau des nappes phréatiques, caractéristiques des sols, géologie, capacité et structure du réseau d’égout, configuration des rues, surfaces imperméables, etc. », paramètres qui sont ignorés de beaucoup d’habitants et décideurs locaux.


 

Pour aller plus loin …

 Liens « Dewey Maps »

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