C’était au temps où Bruxelles brassait

Messieurs, avant de devenir une affaire d’hommes, la fabrication de la bière était une activité réservée aux femmes. Et, savez-vous pourquoi ? « Oui », me répondrez-vous sans doute, en répétant le slogan débile de cette pils dont vous vous tapissez l’estomac les soirs de match en poussant de grands râles rauques et virils : ). Je me permets tout de même de vous rafraîchir la mémoire en compagnie du regretté Guy Moerenhout

Jusqu’au IXème siècle, la fabrication de la bière était une tâche réservée aux femmes. Ce n’est qu’à partir de cette époque que les moines commencèrent à en produire afin de s’en servir – croyez-le ou non – comme complément alimentaire en période de Carême. Il faut savoir qu’à cette époque l’église catholique romaine interdisait aux moines de boire du vin pendant cette période de jeûne. Or, la règle – édictée à Rome – ne disait rien au sujet de la bière qui coulait alors à flot dans le nord de l’Europe. Nos moines se mirent – logiquement – à en produire …

A partir de la fin du Xème siècle, ils complexifièrent les techniques brassicoles en employant deux cuves au lieu d’une : la première pour préparer le brassin et la seconde pour mélanger ce dernier à un ensemble d’épices répondant alors au doux nom de « gruit ». Au Moyen-Âge central et tardif, on commença à produire de la bière dans les auberges qui parsemaient les villes et les campagnes. La bière gagna alors une immense popularité, au point d’être préférée à l’eau, souvent porteuse de maladies. Quoi de plus normal, en période de peste noire. Ce qui est interpellant c’est de se dire que, près de 7 siècles après la fin de la peste noire, l’espèce humaine continue à s’administrer le même remède… « On est jamais trop prudent », comme disait mon grand-père.

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A partir du XVème siècle, les brasseurs – qui voyaient leurs affaires fleurir – commencèrent à se regrouper en guildes. Le brassage devint une profession règlementée, avec ses standards, ses contrôles de qualité et ses taxes. En 1698, la corporation se fit construire une maison sur la Grand’Place de Bruxelles, témoin de son immense richesse. Mais, à cette époque, de nouvelles boissons firent leur apparition partout en Europe : l’eau-de-vie, le thé, la cacao et le café. La popularité de la bière diminua, et l’on supprima la taxe sur la bière. Elle ne sera réinstaurée qu’en 1816 (taxe sur le contenu de la cuve de brassage).

Au moment de la Révolution Française, les guildes furent supprimées et chacun fut à nouveau libre de brasser pour son propre compte. C’était le point de départ d’une nouvelle ère pour le monde brassicole. Au tournant du 19ème siècle, Bruxelles comptait pas mois de 120 brasseries, situées dans la vallée de la Senne. Pendant des décennies, ces petites structures artisanales ou familiales se transmirent de père en fils.

Mais, avec l’industrialisation, les berges de la Senne furent de plus en plus souillée et les brasseurs furent poussés à quitter le centre pour s’installer en périphérie. Après les travaux de voûtement de la Senne et la construction des grands boulevards (1867-1872), seules 14 brasseries se maintinrent dans le centre. Les autres s’installèrent à Saint-Gilles (De Genst, De Goude Blomme) ou à l’ouest de Bruxelles et francisèrent leurs noms (« De Sterre/ L’Etoile », « De Gulden Leeuw/Le Lion d’Or », « De Gulden Posthoren/ Le Cornet de Poste »)

« L’implantation des brasseries à Molenbeek, Anderlecht, Koekelberg et Forest date de la fin du 19ème et du début de 20ème. La proximité des grands axes de communication (canal, voie ferrée, grands axes de pénétration) qui facilitent l’accès des matières premières et l’exportation de la production, fut un élément déterminant pour le choix de leur implantation » (Source : Guy Moerenhout)

Jusqu’en 1850, les brasseries bruxelloises fabriquaient essentiellement – presqu’exclusivement – du Lambic, de la Geuze et de la Faro. Dans la seconde moitié du XIXème, les brasseurs bruxellois commencèrent à intégrer des techniques brassicoles étrangères (« Export », « Bock » et « Pils »). La brasserie Wielemans-Ceuppens commença à produire sa « Forst ». Apparurent ensuite la « Star » de Léopold, l’ « Elberg » de la Grande brasserie de Koekelberg, la « Perle » de Caulier ou encore la « Canette » de Phoenix, qui sera reprise au XXème siècle par la brasserie Roelants à Schaerbeek.

ROELANTS

Mais, la production de cette bière à basse fermentation requérait de grands investissements de départ, ce qui poussa certaines brasseries à fusionner. La concurrence devint telle – entre les entreprises brassicoles « luttant de bon marché » – que les plus petites structures ne parvinrent pas à se maintenir. A la fin du XXème siècle, de grands groupes – comme Wielemans-Ceuppens – achetèrent des débits de boisson. D’autres, comme Maes, s’efforcèrent de renforcer leur présence dans les circuits de la grande distribution. Dans un contexte de mondialisation naissante, la stratégie localiste de Wielemans-Ceuppens réussit moins bien que celle… de Maes ou Artois.

On entre aujourd’hui dans une époque de relocalisation. De nouvelles brasseries artisanales commencent à voir le jour en région bruxelloise. Aux côtés le la vielle brasserie Cantillon – créée en 1910 et toujours en activité au 56 rue Gheude, à Anderlecht, non loin de la Gare du Midi – vient aujourd’hui se rajouter « La brasserie de la Senne », installée au 565 Chaussée de Gand, à Molenbeek.. Deux jeunes passionnés ont enfin lancé – plus récemment – une micro-brasserie dans les Marolles (« En Stoemelings »). Enfin, si vous voulez parler zyotologie autour d’un verre, voici trois adresses schaerbeekoises incontournables : la Buvette Sint-Sebastiaan, en aval du parc Josaphat (tenue par le co-fondateur de la brasserie de la Senne), le Musée schaerbeekois de la bière et enfin le Barboteur, en amont de l’avenue Louis Bertrand.

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Par Mathieu

 

Sources :

Comments

  1. Un Autre

    Vous ne faites pas mention de l’ouverture prochaine de la micro brasserie du Brussels Beer Project rue Antoine Dansaert (a l’emplacement de l’ancienne brasserie Bredael) ?

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