La petite fille de la place (par Habiba)

Eté dernier, début des vacances. Je descends la Grande rue au Bois pour prendre le tram, quand une fillette me fait signe de la main. Elle insiste. Je lui dis bonjour. Elle me dit avoir beaucoup d’amies dans le quartier, y compris des adultes.  Elle me raconte toute sa vie, son école primaire, son institutrice, ses chats, ses frères, son père originaire de Dubaï (mort lorsqu’elle avait deux ans), sa mère autrichienne, gravement handicapée, les repas déséquilibrés et l’argent qui manque. « Je suis douée pour le dessin » me dit-elle. Elle a sept ans, elle en parait un peu plus.

Quelques jours plus tard, elle vient sonner à ma porte, la première fois avec deux chérubins. Ils s’enfuient en courant, Je les rappelle : « A d’autres! J’ai fait la même chose! J’ai aussi été petite fille ». Je ne suis pas fâchée, je leur donne des bonbons. Une autre fois, je l’aperçois encore aux abords de ma rue. Je lui apporte du papier, des feutres couleurs. En effet, elle a du talent.  Elle s’applique. Son trait est soigné. Elle aime colorier, les couleurs sont vives.

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Je parle à mes proches de cette étrange rencontre avec cette petite fille. « Elle est envoyée pour faire un repérage chez toi, méfie toi ! » me recommande mon amie Kate Pinkerton. « Il n’est pas rare que des adultes envoient leurs enfants demander de l’argent ! » s’exclame ma cousine Farah, éducatrice. « Faites gaffe, on s’attache vite, elle n’est rien pour vous, elle n’habite même pas la maison d’à côté » me dit Yussuf, une connaissance schaerbeekoise. « Elle t’a identifiée comme figure maternelle » me dit une amie et collègue de la Gerbe.

Salouah sonne. Elle est avec deux de ses petits camarades. Elle a deux roses, elle les a coupées place des bienfaiteurs. Elle m’en offre une et en garde une pour sa mère. Je suis touchée par son attention, je lui rappelle que les fleurs ne doivent pas être enlevées. La plupart du temps, Salouah traîne dans la rue de 8h à 22h,  ses chaussures sont déchirées, ses pieds sont sales.  Ce matin, elle a mis une robe jaune et vient me montrer ses ongles vernis.

Tous les enfants de la place, sont mes enfants, Salouah un peu plus que les autres, Une dame âgée vient me trouver « c’est votre fille ? Vous ne devez pas la laisser dans la rue toute la journée »,  me dit-elle, « des garçons l’ont embêtée, elle courait pour leur échapper, elle a failli se faire renverser par le tram ». Je rentre à la maison, j’appelle la police. Je fais un signalement : « Fillette en danger » : nom, adresse situation familiale… Je transmets toutes les informations. « Salouah, pardonne-moi je t’ai envoyé les flics »!

Les jours qui suivent, Salouah est moins souvent dehors. Lorsque je la vois, son discours a changé, sa mère est toujours peu présente, mais elle peut compter sur ses deux frères. L’aîné a 18 ans, me dit-elle… Aujourd’hui, leur appartement est à louer…

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par Habiba

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