Êtes-vous plutôt tram ou métro ?

Dans cet article, nous vous proposons de comparer l’argumentaire des partisans du métro à celui des partisans des lignes de surface. Le débat est ouvert.

Ces derniers mois, la cité des ânes est restée relativement silencieuse sur les grands projets locaux : le métro Nord, le viaduc Reyers, la place Meiser, la cité des médias, le réaménagement de la sortie de la E40 et la construction de Docks Bruxsel sur le site des anciennes usines Godin. Dans les prochaines semaines, on tentera de réparer cet oubli ; nous consacrerons une série d’articles à ces questions de réaménagement de l’espace public. Nous commencerons, aujourd’hui, par parler du Métro Nord, dont le gouvernement bruxellois a arrêté le tracé définitif en mai dernier (Gare du Nord, Liedts, Colignon, Verboekhoven, Riga, Tilleul, Paix et Bordet).

MetroNord_Final

Nous vous proposons ici de comparer l’argumentaire des partisans de l’extension Métro (STIB, ADT, RBC) à celui des partisans des lignes de surface (ARAUIEB, BRAL). Les uns estiment que les problèmes de congestion automobile obligent la Région à développer des transports publics en sous-sol. Les autres suggèrent au contraire à la Région de se concentrer sur l’essor du réseau de tram en site propre. Pour les uns, le métro permettra de décongestionner la ville et de faire face à l’essor démographique de la région. Pour les autres, cette option est trop coûteuse et signifie la capitulation de la société de transports publics face à la colonisation de l’espace public par les véhicules à usage privé.

Le point de vue défendu par la STIB et de la Région de Bruxelles-Capitale

1. La pression démographique

La région bruxelloise connaît aujourd’hui une forte croissance démographique (+13,6% entre 2000 et 2010) qui pourrait se poursuivre jusqu’en 2020 (Dehaibe et Laine, 2010) ; ce qui entraîne une intensification des flux de voyageurs. La STIB en conclut que la Région doit impérativement se doter de nouvelles infrastructures lourdes, propres à accueillir ces nouveaux flux. « [Il faut] héberger ces nouveaux citadins dans des zones déjà bien desservies par les transports en commun – souligne Alain Deneef co-auteur du rapport Métrovision paru en 2009 – une extension du métro dans ces quartiers pourrait prendre tout son sens, légitimement vers le Nord de la Ville et vers Schaerbeek ».

2. La pression automobile

La direction de la STIB affiche donc, depuis la fin des années 2000, la volonté de relancer le développement de métro, à l’arrêt depuis 1989 (cf. rapport Métrovision). La direction de STIB ne fait pas mystère des causes de ce changement de politique : elle prétend soutenir les transports multimodaux, mais justifie en même temps l’option « métro » en soulignant la nécessité de « laisser de la place au voitures » (sic). « Pour assurer un service de qualité – assure A. Flausch, l’ancien président de la STIB – [il faut] aussi travailler avec le vélo ou les voitures partagées. Il faut une offre complète. Et puis, on doit laisser de la place aux voitures, d’où le tunnel et le métro » (source). Lorsqu’elle est accusée – par des associations comme l’ARAU – d’abandonner la surface aux voitures, la STIB rétorque que « le réseau ferré de surface, fort dense à Bruxelles, est clairement appelé à être maintenu, renforcé, modernisé et étendu » (Lire « La Cityvision, une vision tronquée »).

3. Un gros investissement de départ, avec des coûts d’exploitation réduits

L’ambition des auteurs du rapport Métrovision est d’offrir à Bruxelles un réseau de métro digne d’une grande capitale européenne. C’est pour eux une question rayonnement international. Le rapport Métrovision compare le métro de Bruxelles aux métros de villes européennes de taille similaire, aujourd’hui dotées de réseaux plus étendus et parfois automatisés (Nuremberg, Lisbonne ou Lyon). Le rapport met également en avant la performance des grands réseaux (de Londres, Madrid, Milan et Barcelone) et en tire une conclusion pour Bruxelles : elle doit étendre son réseau en sous-sol, une solution qui présente – selon le rapport – de nombreux avantages.

Un des principaux avantages évoqués en faveur du métro, c’est sa « rentabilité » : en 2009, le réseau métro offrait à la STIB « 150 millions de recettes pour 150 millions de coûts d’exploitation ». La société de transports publics en conclut que le développement du métro permettrait d’augmenter la rentabilité des infrastructures existantes. Ce calcul doit toutefois être nuancé : la politique de concentration des voyageurs sur les lignes fortes « induit une surcharge à certaines heures, ce qui oblige la STIB à mettre en place des systèmes d’exploitation coûteux » (Hubert, Lebrun et Carton, 2010).

Réseau STIB : un très petit nombre de lignes, à très haute vitesse commerciale.

Réseau STIB : un très petit nombre de lignes à très haute « vitesse commerciale ».

Le point de vue des détracteurs du projet Metro Nord

Pour les détracteurs du projet d’extension du métro bruxellois, « enterrer les usagers » est une solution trop coûteuse, qui répond mal aux besoins de mobilité des bruxellois et qui risque de conduire à l’intensification de la mobilité automobile en surface. Réunis sur la plateforme SMoB (Sustainable Mobility in Brussels), ils ont résumé leur position dans un rapport intitulé « Cityvision » ; une alternative à la Métrovision de la STIB et de la Région bruxelloise.

1. Le projet de métro ouvre la mobilité de surface aux voitures

Le Métro Nord a été proposé en réponse aux problèmes de la ligne 55, supposée inefficace. Voyant que cette branche du réseau restait emprisonnée dans la congestion automobile, la STIB en a conclu qu’il fallait la « remplacer » par une ligne souterraine. Ceci soulève une question importante : quand on met en œuvre ce type d’infrastructures lourdes en sous-sol, quel genre de projets d’aménagement justifie-t-on en surface ? Pour l’ARAU, la réponse est claire : ces infrastructures justifient, en surface, des politiques qui vont à rebours de l’objectif que s’est fixé la région, de diminution de la pression automobile et de requalification des voiries en faveur de la mobilité douce. Pour Isabelle Pauthier, Directrice de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU), développer le métro revient à abandonner le trafic de surface aux voitures.

2. Un projet fondé sur une « étude de complaisance »

Les détracteurs du projet Métro Nord soulèvent également l’existence d’un conflit d’intérêts, à la base du projet. Le 15 décembre 2010, les pouvoirs publics ont confié l’étude de faisabilité « Métro Nord » à un consortium (La Société Momentanée Bureau Metro Nord) dont certains membres – des sociétés d’ingénierie – pouvaient avoir un intérêt direct à préférer l’option du métro sous-terrain aux autres solutions (THV Grontmij, SM Metro TPFE-Bagon, Amber Engineering, SM Van Campenhout et le bureau d’études AREP). « La société momentanée bureau Métro Nord – souligne Isabelle Pauthier – a mis en place une grille d’analyse qui permettait d’évacuer les alternatives légères et en surface, et en particulier les améliorations que l’on pouvait apporter au 55, ou à d’autres portions du réseau » (interview du 20 octobre 2014)

Pour l’ARAU, le verdict est sans appel : le projet a été fondé sur une « étude de complaisance« , destinée à entériner une décision de principe pro-métro. L’atelier de recherche et d’action urbain juge aujourd’hui que la STIB et la Région défendent l’option du métro sans prendre au sérieux les arguments qu’on leur oppose. « Je crois que les décideurs politiques ne lisent pas les études en matière de mobilité », ironise Isabelle Pauthier.

3. Un projet susceptible de « mettre la région à genoux »

Dans son article de 2012, l’ARAU affirme que le projet est susceptible de « mettre la Région à genoux ». La création d’une ligne de métro exige en effet de lourds investissements de départ – au moins dix fois supérieurs à ceux d’une ligne de tram. Par ailleurs, les travaux du métro sont nettement plus longs. A terme, le métro permet de déplacer un plus grand volume de voyageurs, loin des aléas de surface ; mais ces avantages peuvent-il réellement compenser les coûts exorbitants des travaux ? Les 4,36 km de la future ligne métro Nord et ses aménagements en surface coûteraient, selon une première estimation, 1,334 milliards d’euro.  Et, vu la tendance des techniciens à sous-estimer les coûts des infrastuctures, le budget final du Métro Nord pourrait largement dépasser les prévisions initiales. A titre de comparaison, le prolongement de la ligne du tram 94, en site propre – qui court sur 4,5 km entre la place Wiener et le Musée du tram – n’a coûté qu’une cinquantaine de millions d’euros. Comme disait Pascal Smet …

« Avec le prix d’un kilomètre de métro, on fera 10 km de tram » (source).

L’ARAU souligne enfin la fragilité du mode de financement du Métro Nord : Beliris et la Région espèrent financer la réalisation de ce métro par une structure PPP, un partenariat public-privé. C’est-à-dire un mode de financement par lequel l’autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement de service public. Le partenaire privé reçoit en contrepartie un paiement du partenaire public et des usagers. Isabelle Pauthier estime que le PPP coûte au final plus cher au public et ne lui donne pas assez de moyens d’intervention.

Extension du tram 94 de la place Wiener à Hermann-Debroux (2006-2008) et d'Hermann-Debroux au Musée du Tram (2011-2013)

Extension du tram 94 de la place Wiener à Hermann-Debroux (2006-2008) et d’Hermann-Debroux au Musée du Tram (2011-2013)

 

  1. Un projet qui ne rendrait pas le réseau de transports publics beaucoup plus simple d’accès

Enfin, les détracteurs du projet rappellent que le réseau existant doit être amélioré et optimisé avant d’être prolongé et étendu. Car, il impose encore aux usagers un nombre déraisonnable de correspondances. A la fin des années 2000, la STIB a raccourci certaines lignes afin de proposer aux usagers un réseau articulé autour d’un petit nombre d’axes forts, à haute vitesse commerciale. Conséquence : un accroissement les ruptures de charge (correspondances). Depuis le remplacement d’Alain Flausch par de Brieuc De Meeûs, la direction de la STIB reconnaît à mi-mot qu’elle a eu tort de ne pas avoir pris en compte les ruptures de charges, la durée et la pénibilité des correspondances, dans l’évaluation de la performance du métro. Une politique que la STIB prétend à présent vouloir corriger.

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« Cityvision » (2009) suggère de concentrer les investissements sur l’amélioration des infrastructures existantes, notamment des lignes de surface

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Pour aller plus loin :

« La Cityvision, ou comment faire beaucoup mieux que la « Metrovision » de la STIB avec moins de moyens » par Luc Lebrun, Vincent Carton, Michel Hubert et al., 23 octobre 2009

« Metrovision vs. Cityvision, état du débat et pistes de convergence« , par Hubert, Lebrun et Carton (2010)

« Qui veut tuer son chien (le tram 55), l’accuse de la rage« , ARAU, 19 décembre 2012.

« Des controverses aux compromis. Les lignes de front du métro bruxellois » par Céline Tellier (2010), in Belgeo – Villes et grands équipements de transport, pp. 211-228

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Par Mathieu et Clément

 

Comments

  1. Jeremy

    Vous êtes vachement objectifs, sans parti pris et non orientés politiquement. Ouaf ouaf ouaf. Écolo forever oui. Pitoyable. Mais je vous rassure. Schaerbeek vous ignore.

  2. dewey Author

    Bonjour Jeremy, merci pour votre message.
    je me suis peut-être donné des airs faussement objectifs. Je l’ferai plus. ça tombe plutôt bien, je n’ai jamais cru à l’objectivité journalistique. Maintenant, à moi de vous poser une question : ça vous a déjà traversé l’esprit que l’on pouvait vivre, parler, écrire, discuter sans tout ramener à la politique politicienne, celle des partis ?
    Bien à vous. Mathieu

  3. Sebiusz

    Il ne faut pas remercier les gens qui critiquent stupidement sans avancer d’argument. Qu’est-ce qui est « pitoyable »? Vouloir débattre de la place du tram et du métro dans nos transports en commun ou catégoriser les gens d’Ecolo? Fermons la parenthèse.

    Question aux auteurs: y a-t-il des études sur les opportunités de mise en place de ligne de tram en site propre pour relier le Nord de la ville. Qu’en est-il des bandes prioritaires bus/taxi sur les grandes artères de la ville?

    Pour la STIB, le métro est donc rentable. Rien d’étonnant, il est très cher, et l’offre est tout à fait insuffisante. La STIB a beaucoup de progrès à faire. Bruxelles est une des capitales européennes ayant les pires transports publics. Beaucoup de villes moins riches encore, en Europe de l’Est notamment, ont des transports publics bien plus efficaces.

  4. dewey Author

    Bonjour Sebiusz, oui, il y avait une opportunité, qui a été abandonnée. La mise en site propre du 55. L’ARAU a écrit un article en 2012 qui explique que la Région et la STIB ont exagéré les désavantages de cette ligne de tram, en excluant une mise en site propre.
    http://www.arau.org/fr/urban/detail/256/metro-nord-tram-55-supprime
    Pourquoi avoir abandonné ce projet ? A cause de la pression automobile.
    La direction de la STIB semble estimer que les lignes de tram en site propre, c’est bon pour les communes périphériques (Boitsfort pour le 94, Evere pour le 62), pas pour le pentagone et les communes plus centrales.

  5. En tant qu’interviewée par l’auteur de cet article, que je n’avais pas l’honneur de connaître, j’ai trouvé qu’il faisait preuve de beaucoup d’esprit critique, nous poussant sans aucune complaisance ni connivence dans nos retranchements par ses questions, et d’un niveau de déontologie journalistique qui n’est pas toujours acquis chez les journalistes professionnels, bien souvent hélas ignorants du terrain qu’ils sont amenés à traiter et imprégnés de préjugés sociaux, de classe, de genre et bien souvent de néo-ruraux du BW.
    Bref Bruxelles et Schaerbeek en particulier peuvent s’enorgueillir d’un débat démocratique de cette qualité, qui a le mérite d’exposer de manière compréhensible les grandes lignes de points de vue contradictoires et qui se tient en dehors des milieux partisans.
    Longue vie à la société civile.

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