Faire la ville sans les gens ? Pour une refonte des politiques de participation à Bruxelles

Avec le nouveau Code Bruxellois d’Aménagement du Territoire (CoBAT) et les dix Plans d’aménagement directeurs (PAD) qui l’accompagnent, dix séances d’information-consultation sont aujourd’hui organisées sur une période de seulement … six jours ouvrables. Elles doivent être suivies par des enquêtes publiques et des commissions de concertation. Nous – signataires de ce texte – souhaitons comprendre l’utilité de ce cadre de “participation” proposé par le gouvernement bruxellois. Les citoyens doivent être consultés en amont, avoir le temps de s’y préparer et l’opportunité de peser sur la prise de décision. L’époque où les promoteurs et politiciens avançaient leurs pions selon leur bon vouloir est achevée, comme cela s’observe déjà à Gand, Madrid, Barcelone, Vienne ou Grenoble. Il est dans l’intérêt de Bruxelles de suivre la voie qui a été ouverte par ces quelques villes pionnières. On commence quand ?

Avec la réforme du CoBAT, le gouvernement bruxellois se félicite que de grands projets “attractifs” puissent être mis sur pied de façon plus efficace via des organismes d’intérêt public (OIP) comme Perspective, qui le conseille en matière de développement territorial ou via la Société d’Aménagement Urbain (SAU) qui achète des biens, sélectionne de projets et encadre la maîtrise d’ouvrage. Mais, aux yeux de qui ces projets sont-ils « attractifs »? A quels besoins répondent-ils ?

Ces “grands projets” ont été élaborés en dehors de toute véritable concertation citoyenne, et les dispositifs d’information prévus ne sont pas destinés à pouvoir les orienter. Seuls quelques aménagements à la marge sont envisageables, destinés à faire accepter aux Bruxellois la partie du projet qui compte vraiment, c’est-à-dire celle qui compte les profits. Nous – signataires de ce texte – voulons être associés à une autre façon de faire la ville, et nous comptons y contraindre les décideurs par tous les moyens démocratiques qui nous sont accessibles.

Le choix des partis politiques bruxellois revient aujourd’hui à savoir s’ils seront capables de prendre ce train en marche, ou s’ils préfèrent s’enfermer dans les schémas du passé, qui sont ceux qui nient la démocratie tout en détruisant la nature.

Trop occupés à répondre à l’ouverture de nouveaux marchés, et l’attraction de nouveaux capitaux, le gouvernement bruxellois et ses OIP échouent à “répondre aux besoins actuels de la ville”, aux nécessités de ses habitants et de ses associations. Ceux-là à qui l’on répète obstinément – année après année – qu’il faut “composer avec peu”. Mais la diète ne s’applique visiblement pas à tout le monde…

A l’heure où la jeunesse bruxelloise enchaîne les contrats précaires et où le logement social tombe en ruine, est-il prioritaire de prévoir la construction d’appartements de semi-luxe dans le quartier universitaire ou le long du canal? A l’heure où les joyaux de la culture bruxelloise  tombent en morceaux – les Beaux-Arts, le MRAH et le Conservatoire –  est-il opportun d’injecter plus de 150 millions d’euros dans la création d’une enseigne culturelle franchisée, déconnectée de la culture locale (Centre Pompidou) ? Que dira-t-on enfin du patrimoine naturel de “la ville  la plus verte d’Europe” d’ici quelques années, quand le gouvernement bruxellois aura décidé de convertir les dernières friches en « nouveaux quartiers” saupoudrées de vert ?

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Présentation des réunions d’information et de consultation sur les « grands projets » (perspective.brussels)

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On assiste ici à une inversion de l’ordre des priorités : le tape-à-l’œil et l’attractivité urbaine avant les urgences sociales, culturelles et environnementales.

Plutôt que de produire des “projets “smart” issus du bon vouloir de grands investisseurs, il faut aujourd’hui que Bruxelles base sa politique de développement territorial sur une juste évaluation des “besoins urgents” et des ressources locales susceptibles de les satisfaire; en prenant à la fois appui sur ses analyses produites en interne (IBSA) et sur les savoirs des associations de terrain et des habitants.

Contrairement à des fonds d’investissement ou à des grands promoteurs, les groupes d’habitants et les associations locales n’ont généralement pas la capacité de faire valoir leurs idées à coup de centaines de milliers d’euros. Et pourtant ils sauraient donner du souffle à une administration publique en panne de légitimité démocratique : ce n’est qu’en prenant au sérieux leurs recommandations qu’il sera possible de faire en sorte que le développement de la ville soit « juste » ; c’est-à-dire moins suspendu aux flux de capitaux qui nous survolent qu’aux besoins sociaux et écologiques qui nous obligent.

En ce qui concerne la politique de développement territorial : en lieu et place de véritables consultations populaires, on n’a hélas assisté ces dernières années qu’à de très rares séances d’information où le gouvernement régional donnait les questions et les réponses: c’est-à-dire sa vision doctrinaire de la “revitalisation urbaine” et du développement social et économique de la ville. Le message du gouvernement bruxellois est clair : derrière le simulacre de la participation citoyenne, la construction de la ville se fait “sans les gens”, entre mandataires publics, investisseurs et techniciens.

“On ne ferait pas cette phase de participation si on n’avait pas l’intention d’en tenir compte » précisait Christophe Soil – directeur du Bureau Bruxellois de la Planification (BBP) – à l’antenne de Vivacité, le 4 juin dernier. Dont acte. Mais, dans les prochaines semaines et les prochains mois, il va falloir proposer autre chose que de vagues déclarations d’intentions : nous souhaitons une refonte générale des politiques de participation citoyenne en région bruxelloise.

Pour l’heure, nous demandons essentiellement le respect de ces quelques engagements fondamentaux. Le gouvernement bruxelloise doit – au strict minimum – …

  1. forcer ses structures public-privé (OIP et S.A. de droit public)  à se plier davantage à l’article 32 de la constitution, qui garantit  le droit des citoyens à l’information (ou l’obligation de transparence des administrations publiques) et qui suppose que – sauf exception – l’accès aux documents administratifs ne soit pas entravé.
  2. veiller à suivre les bonnes pratiques instituées par la Directive 2014/52/UE du Parlement Européen et du Conseil du 16 avril 2014, modifiant la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences
    de certains projets publics et privés sur l’environnement pendant l’application du COBAT, en particulier pour ce qui concerne les obligations en matière de transparence, d’accès du public aux informations environnementales – qui doivent toujours être fournies en temps opportun – afin de permettre au public de se préparer et de participer de manière effective aux procédures de décision.
  3. veiller à inscrire dans les statuts des OIP régionales chargées du développement territorial une clause qui prévoit que des personnes engagées au sein d’une société de promotion immobilière ne puissent en aucun cas exercer ou se porter candidat à la fonction d’administrateur.
  4. veiller à respecter les engagements pris lors de la Convention d’Aahrus (UNECE, 1998), qui supposent une participation effective des citoyens aux décisions susceptibles de transformer leur environnement. Ce qui implique de ne pas se contenter du processus de participation “minimal” que propose le CoBAT. Le gouvernement devra notamment veiller à organiser les enquêtes publiques entièrement en dehors des vacances scolaires.
  5. veiller à mettre un Ombudsman régional à disposition des citoyens; et qui puisse leur offrir un soutien lors des enquêtes publiques et des commissions de concertation.

De façon générale, le gouvernement bruxellois doit veiller à réunir les conditions de possibilité d’une information et d’une participation effective des citoyen(nes) bruxellois(es). Ceci signifie qu’il faut renoncer à vouloir consulter des habitants sur 10 PAD dans le même laps de temps. Car, il est impossible de suivre cette cadence.

 

Co-signataires :

ASBL Respire, Groupe de défense de la zone verte Boondael-Ernotte-Akarova, Haren Observatory, Le Comité de Haren, Le Tuiniersforum des jardiniers, les Actrices et acteurs des temps présents, Écologies de Bruxelles, Petites singularités, Inter-environnement Bruxelles, Pavé  dans les Marolles, Ezelstad, WeBrussels, Mathieu Simonson (Dewey ASBL), Jean-Baptiste Godinot (Haren Observatory), Guilherme Serodio (DiEM25), Jacques Morel (Sacopar ASBL), Arnaud Jacobs (ULB), Simon De Muynck (ULB), Noemie Pons-Rotbardt (ULB), Livia Cahn (ULB), Benedikte Zitouni (ULB), Chloé Deligne (ULB) Toha De Brant (BRAL), Claire Scohier (IEB), Alessia Tanas (VUB),  Serge Gutwirth (VUB), Jacques Morel (Sacopar ASBL), Liévin Chemin  (Radio panik), Clémentine Delahaut, Gwenaël Brees, Karin Stevens, Natacha Roussel, Vuk Paunovic, Bibiane Bolle, Laurent Moulin, Mathieu Verhaegen, Dominique Nalpas, Isabelle Marchal, Nicolas Prignot, Sarah de Heusch, Apolline Vranken, Eve Bonfanti, Charles Hinkel, Denys Ryelandt

Comments

  1. Adeline Gilet

    Revenons au vrai sens de la cité.
    Déf Larousse : Dans l’Antiquité, communauté politique dont les membres (les citoyens) s’administraient eux-mêmes.

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