Écritures citoyennes

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de « Raconte-moi ton quartier » ? Depuis un an, l’ARC et les Conteurs en balade sillonnent différents quartiers à la rencontre des habitants, en leur offrant des contes élaborés à partir de leurs propres histoires de quartier ; ce qu’ils y font, leurs vies, leurs rêves. Des contes écrits par les uns, racontés par d’autres. Dernièrement, ils passaient dans le quartier Cureghem et nous y étions conviés »

J’écris régulièrement pour Ezelstad. Un jour, j’ai ressenti le besoin de me renouveler, et je me suis inscrite à ‘En jeux d’écriture. Il y a d’abord eu un premier week-end avec Elisabeth Mertens, animatrice ARC, et Muriel Durant, conteuse. Le stage était gratuit ; le thème tournait autour du combat citoyen et de son approche poétique. Des exercices ludiques furent proposés afin de libérer et de décloisonner l’imaginaire. Les jeux étaient tantôt individuels tantôt collectifs ; l’écriture se faisait à la main avec l’idée de tendre vers une écriture orale. Le stage consistait à aborder la mise en récit « qu’est ce que je raconte, comment je le raconte ? », et cela en se questionnant : Quel combat, quel enjeu est-ce que je souhaite défendre ; que se soit dans mon quartier ou dans la société ? Comment le dire, comment le porter ? Comment libérer et structurer une parole citoyenne, la mettre en récit ?

 

Site web des « Conteurs en balade » : www.conteursenbalade.be

 

Le premier jour, la matinée a été consacrée à toute une série de petits jeux autour de l’écriture. Ensuite, nous avons travaillé une ébauche de conte à partir de propositions de Muriel Durant. L’après-midi, il nous a fallu choisir une personne parmi toute une série de personnages célèbres connus pour leurs idées révolutionnaires ou pacifiques : introduction de la notion de combat poétique, à partir d’éléments bien précis amenés par l’animatrice. Il s’agissait de construire un texte, en imaginant une rencontre singulière entre le voisin-héros et notre figure emblématique dans un endroit de notre choix ; un lieu où il nous est impossible de nous échapper, où l’on sera forcément amener à se parler. Le deuxième jour, l’exercice consistait à créer une cosmogonie : créer un monde à partir des quatre éléments (Eau,Terre, Air, Feu), d’une utopie.

Dès septembre, les ateliers d’écritures s’enchaînent, d’abord avec Elisabeth, ensuite en janvier avec Sarah. Deux temps, deux styles, un objectif : écrire. Tous les quinze jours durant deux heures et demi, on nous propose des exercices pour déverrouiller l’imaginaire. Ils sont simples, ludiques. Retrouver le cadavre exquis est – par exemple – un exercice d’écriture très connu, utilisé par les surréalistes pour s’amuser. L’exercice consistait aussi à découvrir l’intérêt de la contrainte : elle est stimulante, elle crée de la liberté. Un autre exercice consistait à écrire en usant des cinq sens : écrire tantôt avec les yeux bandés, tantôt avec un fond musical, ou en humant des odeurs, sous-bois, fruitées, florales, maritimes … À chaque atelier, l’idée c’est d’engranger des manières d’écrire, de sortir de ses habitudes d’écritures, de se nourrir d’images, de peintures, de photographies, de construire des métaphores, d’intégrer la notion de combat poétique, surtout de définir et choisir son enjeu.

« Donner à voir, laisser le descriptif se raconter, par le biais d’observation concrète » (Durée : 35 min). Sujet : les nouveaux voisins.

J’ai de nouveau voisins. Ils ont emménagés l’été dernier. Il y a plusieurs jeunes gens, aussi des filles. Je les ai vus arriver par petits groupes, déposer un matelas, des ordinateurs, quelques petits meubles. Des gens plus âgés sont venus les aider. Les nouveaux locataires doivent avoir une vingtaine d’années. L’autre jour, l’un d’eux arborait un tee shirt avec l’inscription « Vive Montréal ». Ils occupent toute la maison d’en face : une habitation schaerbeekoise à plusieurs étages. Il y a un jardin, et une vaste cuisine au sous-sol. Je vois tout de ma fenêtre. Ils se déplacent en voiture, en scooter, vont, viennent. Des jeunes, quoi. Il y avait anciennement une dame et deux enfants, un homme aussi. Il allait et venait avec son sac de sport. L’homme a quitté la maison. Je ne connais pas les circonstances de son départ. Un jour, le salon était plein de gens : une atmosphère lourde. On aurait dit que quelque chose de terrible était arrivé. La dame passa plusieurs semaines dans la maison, elle arrivait tête baissée, ressortait tête baissée. Jusqu’à ce que débarquent les jeunes. Combien étaient –ils ? Aucune idée, 3, 4, 5 ; ça défile de jeunes. A peine sorti de l’enfance, en jeans, sweat, ils semblent pressés. Les nouveaux voisins apportent un vent de fraîcheur au quartier. Les autres voisins sont soit plus âgés, soit de jeunes parents avec bébés. Les nouveaux voisins ont choisi de vivre ensemble, un lien les unit, lequel ? Une odeur de barbecue, la bière coule à flot, d’ici, j’entends les rires, des chants, de la guitare, je les vois s’embrasser sur le pas de la porte, se saluer, on fête un évènement, lequel ? La fin des examens ? Le début de l’été ? Il doit bien y avoir une petite place pour moi au jardin.

 

Les barques du Maelbeek sont en fleurs (Conte écrit par Muriel, une participante)

Amanda habitait une barque le long du Maelbeek. Elle avait 212 ans, était toute ratatinée. Ses cheveux rouges vifs lui donnaient du feu au ventre. Un matin d’hiver, elle entendit des pleurs d’enfant sur la berge. Elle déposa sa miche de pain, abandonna son café bouillant, enfila son vieux chandail bleu au dessus de sa chemise de nuit et courut vers le ponton. Elle aperçut sa petite voisine Juliette, 4 ans, encore en pyjama, sans manteau. « Entre vite, ma chérie, tu vas prendre la mort dans cette tenue. Viens te mettre près du feu, je vais te faire un chocolat chaud. Juliette ne se fit pas prier. Un peu plus tard « Mamy Amanda, s’il te plait, fais que les sentiers autour de nos barques soient pleins d’enfants pour jouer ». Fais que leurs grands-mères puissent s’assoir sur les bancs, sortir leurs goûters, surveiller les petits et parler entre elles. Amanda la berça près du feu, un long moment, silencieuse. Comme d’habitude, Elle interrogea les nuages, mais ils gardèrent obstinément la même couleur et la même direction. Ils restaient étrangement immobiles. La petite fille était repartie en courant, pressée de compter ses sous dans sa tirelire comme chaque jour, à la même heure. Le clocher de l’église se mit à sonner au loin, tirant de sa sieste un nuage paresseusement étendu. Le nuage s’étira longuement, entraînant derrière lui deux ou trois copains. Ils mirent à pleurer un peu, humectant les sentiers et les rives. Amanda, veuve depuis 100 ans vit son défunt mari, Juan Carlos, un homme trapu et vigoureux au regard de feu. Sa sombre chevelure hirsute n’avait décidément pas changé. « Il faut aller à l’église…contacter les équipes pastorales. Tous ces enfants au catéchisme…ils seraient bien mieux à jouer au bord de l’eau avec la petite Juliette que d’écouter toutes ses bondieuseries ». Elle se mit en route. Arrivé au fond de la nef centrale, elle entendit un bruit de pas. « Le curé, « c’est le moment » elle s’en approcha, agrippa sa soutane blanche, failli l’étrangler en empoignant son étole lilas. A sa grande surprise, les vitraux de l’église s’étaient délogés, le Christ, descendu de son piédestal, tout comme les anges sculptés de la chaire de vérité en bois de chêne. Ils se mirent à danser au rythme effréné d’un rock and roll des années 60 . Marie chatouillait le ventre de son fils qui gloussait de rire. L’église de disloqua sans bruit. Les Pierres s’envolèrent à travers les cieux, délestées de deux cent ans de galère. Les gens du quartier, curieux, quittèrent leurs barques. Bientôt, tout le monde se retrouva dehors. Un soleil tonitruant cassa les murs de l’hiver. Des tréteaux furent rapidement dressés, nappes à carreaux, salades de fruits, tartes et cakes en tout genre ne tardèrent pas à affiler. Des bouteilles de mousseux voltigèrent, des bulles de champagne grimpèrent jusqu’au ciel, chahutant la sieste des nuages. Le ciel se teinta de jus d’orange qui coula en fontaine pour rassasier tout les enfants du quartier. Juliette n’était plus seule. – Muriel –

 

Muriel dit de ces ateliers : « En cours d’écriture de contes, les propositions de l’animatrice de l’ARC nous emmènent dans des lieux où on irait pas, il y a un effet de surprise, c’est assez porteur ». « Le côté ludique très présent génère une dimension plaisir ». Dès le début à travers un exercice-jeu d’écritures, Sarah nous a permis de rencontrer notre juge intérieur, nous lui avons écrit, nous l’avons tenu à distance. Muriel ajoute : « Ce fut un réel soulagement que de se défaire de ce petit dictateur ». Cette expérience nous a permis – à Muriel comme à moi – d’avancer dans nos pratiques d’écriture.Et, ça nous a semblé utile pour « La cité des ânes » qui est – lui aussi – un espace d’écriture citoyenne et de créativité, destiné à écrire à partir de ce qui nous est très proche, à faire émerger une parole, une occasion d’écrire et de se frotter à la réalité du lieu où l’on vit.

 

 

Texte : Habiba Temsamani

Dessins : Plaisir d’écrire, Zin om te schrijven (Luc Van Belle) ; Les 4 règles des ateliers d’écriture (Lucie Miguet)

 

Quelques liens utiles :

 

 

 

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