L’histoire du logement pour tous à Schaerbeek

Le Foyer schaerbeekois, société coopérative en charge de la gestion des logements sociaux dans la commune de Schaerbeek, a été fondée à la fin du 19ème siècle par l’échevin Louis Bertrand, qui était alors en charge des finances locales. La mission de la société consista dès sa création en 1899 – l’année de l’adoption de la loi sur le logement ouvrier – à offrir un logement décent aux populations précaires de la commune.

Mais, pour retrouver la trace de la première expérience de “logement bon marché” au sein de la commune, il faut remonter à la création de la “société anonyme des habitations ouvrières”, trente ans plus tôt. Ses premiers bâtiments furent construits sur l’ancien champ des courses de Lindhout, sur le modèle paternaliste et hygiéniste des maisons ouvrières d’Émile Müller (1823-1889).

« Une société portant le titre de Société anonyme des habitations ouvrières dans l’agglomération bruxelloise, s’est fondée en 1868, sous le patronage de la compagnie immobilière de Belgique, et ses statuts édictés sous la forme la plus libérale, répondent parfaitement au but qu’elle poursuit : celui de créer pour la classe ouvrière des habitations salubres, à un taux qui ne dépasse pas l’intérêt ordinaire de l’argent et à des prix de location infiniment inférieurs à ceux payés jusqu’ici pour les bouges où s’étiole cette population. Cette société met non seulement ses immeubles en location à un prix relativement très bas, mais elle permet aussi à l’ouvrier de devenir acquéreur de sa maison moyennant une redevance annuelle de 5,5% du capital dépensé pendant vingt années » (L’avènement de la cité-jardin en Belgique: histoire de l’habitat social en agglomération bruxelloise, Par Marcel Smets, 1977)

Cité Ouvrière Lindhout (Creative Commons)

Contrairement aux logements ouvriers liégeois – ceux de Ducpétiaux et Cluysenaar, organisés autour d’un lieu de vie communautaire – la cité ouvrière Lindhout est très «individualiste». Derrière leurs grandes façades aux allures de villas bourgeoises, les pavillons sont divisés en très petites unités d’habitation, sans arrière-cour. “Par l’implantation en damier des maisons et l’orientation de toutes les façades et jardins vers la voie publiques, (le) plan répondait à toutes les exigences d’ordonnance, d’hygiène et de surveillance assignées pour des logements ouvriers.” (Marcel Smets, 1977, p. 33)

Ce modèle libéral est critiqué à la fin du 19ème siècle. Les édiles locaux de l’époque lui préfèrent très clairement le modèle ‘coopératif’. Louis Bertrand acquiert très tôt la conviction que c’est ce modèle qui a le plus de chances de réussir en matière de logement ouvrier. En 1888, il visite le Familistère de Guise de Jean-Baptiste Godin. L’organisation coopérative promue par Godin permet – écrit-il – de « nous conduire pacifiquement, sans révolution violente, du régime du salariat à celui de l’association du travail et du capital, en attendant l’élimination de l’élément capitaliste de la production ».

 

LA NAISSANCE DU FOYER SCHAERBEEKOIS

Avec la création du Foyer Schaerbeekois (FS), en 1899, Louis Bertrand suit également la voie de la Société Nationale des Habitations Bon Marché (de H. Denis). Les premières réalisations de Louis Bertrand dans les cités de l’Olivier et de l’Helmet (arch. Henri Jacobs) restent empreintes de l’esprit paternaliste de l’époque : hygiénisme et contrôle social.

De 1902 à la fin des années 1930, le patrimoine du FS grandit. La société fait appel à des architectes en vue pour construire des logements à petits prix (arch. H. Jacobs ; O. Rampelberg). Puis, au lendemain de la première guerre mondiale, le foyer se dote d’une régie d’ouvriers qualifiés lui permettant de prendre en charge la construction de ses propres logements. Elle compte à l’époque 350 travailleurs : 1360 unités de logement verront le jour grâce à eux, en l’espace d’une trentaine d’années.

A Terdelt, le FS créera également un grand quartier de logement social, sur le modèle de la cité-jardin à l’anglaise. L’architecte Charles Roulet remporte le concours. Son projet s’articule autour d’une Place centrale de forme ovale, et d’en entrelacs de rues courbes et étroites. L’ensemble est inauguré en 1926. Les maisons unifamiliales sont à l’origine destinées au “logement locatif”. Elles seront finalement transformées en logements acquisitifs.

 

LE LOGEMENT OUVRIER DANS UNE VILLE POST-INDUSTRIELLE

Dans les années 1970, Bruxelles perd son statut de “première ville industrielle de Belgique” face à Anvers, Liège et Charleroi : les pouvoirs publics locaux rêvent de métamorphose : ils veulent en faire une “ville de services”, une ville tertiaire… A partir des années 1980, Bruxelles débarrassée d’une large part de son industrie perd dans le même temps l’intérêt qu’elle avait autrefois manifesté pour le logement ouvrier.

Face à la destruction du tissu industriel bruxellois, les autorités publiques imaginent – dès le début des années 1990 – une nouvelle matrice de développement urbain : le “contrat de quartiers”, dont le but est de revaloriser ou de revitaliser les parties de la ville qui ont été le plus durement frappées.

La finalité de ce mouvement de “revitalisation” – promu par la région bruxelloise – c’est d’attirer vers le centre une classe moyenne qui tend à quitter la ville pour s’installer en périphérie. Or, ce but n’est compatible avec la volonté de créer une ville accessible aux moins bien lotis. La preuve en est que – alors que plus d’un tiers de la population bruxelloise vit sous le seuil de pauvreté – le Région compte aujourd’hui moins de 8 logements sociaux pour 100 ménages. À Schaerbeek, c’est pire : moins de 4,5/100.

 

RETOUR AU XIXème ?

Pendant l’entre deux guerres, le foyer schaerbeekois pouvait compter sur une large équipe ouvriers pour la réalisation de travaux. Mais à la fin de siècle – libéralisme économique oblige – la mode est à l’externalisation et au “dégraissage de mammouth”. Conséquence : une perte de temps et une perte d’autonomie pour les SISP (Sociétés Immobilières de Service Public) et leurs employés, qui se trouvent cantonnés à un rôle administratif, et sont forcés de composer avec un foule de sous-traitants mal coordonnés.

Face au ralentissement de la construction de logement publics (et à un manque de soutien de la part de la Région, SLRB) les SISP se tournent vers le logement privé socialisé (AIS) ; ou parfois vers des programmes plus flous (tels que le logement en gestion publique et à finalité sociale) qui entretiennent une sorte d’ambiguïté entre le logement social et le logement moyen. Concrètement, beaucoup de “projets de logements sociaux” se voient détournés au profit du logement moyen.

A ce problème du retour au logement social “sauce libérale” s’ajoute le problème du vieillissement de nos coopératives de logements : les sociétés de logements social sont des structures très politisées ; avec des oppositions partisanes stériles en leur sein et un manque de transparence quant aux procédures d’attribution des mandats.

 

COMMENT RELANCER LA FABRIQUE DU LOGEMENT SOCIAL ?

La région bruxelloise compte aujourd’hui 7,26 logements sociaux pour 100 ménages. On est loin en dessous des seuils que s’est fixé la SLRB (15%) et très loin en dessous des 30% fixés et atteints au sein d’autres villes européennes comme Amsterdam. Bruxelles peut heureusement compter sur de nombreuses associations de défense du droit au logement pour tirer la sonnette d’alarme … (qui sonne déjà depuis un bout de temps). Voici quelques unes des solutions qu’elles préconisent : la nomination d’un échevin du logement dans chacune des 19 communes, la transparence des procédures de nomination au sein des SISP, transparence des procédures d’allocation des fonds du logements de la SLRB, un moratoire sur la privatisation des terrains publics, l’encadrement des loyers sur le marché privé et le mise en application du “droit de gestion publique”.

 

 

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