Quartier nord : adieu bâti sans âme, bonjour architecture sans briques

L’architecte Petra Pferdmenges est une des instigatrices de “Parckfarm”. Avant de participer à la création de cette magnifique ferme urbaine à Molenbeek, elle a travaillé sur la rue d’Aerschot. Le lien entre ces différents projets ? Une vision originale de l’architecture, qui met l’accent sur constitution d’espaces vécus plutôt que d’espaces construits …

Petra est originaire d’Allemagne et a vécu dans différents pays européens avant de décider de poser ses valises à Bruxelles. En 2010, elle développe – en collaboration avec Stijn Beeckman – un projet intitulé “visible, invisible” (2010) qui invite les Bruxellois poser un regard neuf sur la ville : ses mélanges permanents, mais aussi ses stigmates, ses barrières et ses cloisonnements invisibles entre quartiers. En 2010, Petra et Stijn ont l’idée originale de prendre un instantané d’un salon de prostitution de la rue d’Aerschot et de le reproduire à l’identique dans un autre quartier de la capitale, à proximité de Flagey.

« We made a copy-paste of the windows in the rue d’Aerschot and the upper streets to Ixelles. This is how the whole work started. Then, we wrote a little paper and we said « What would you think if your neighbourhood would turn red ». Just to provoke people, to mix the city »  (Petra Pferdmenges, 25 juillet 2015)

Les réactions furent très variées. Beaucoup d’Ixellois crurent qu’il s’agissait d’un véritable salon de prostitution (et non d’une installation artistique). Les agents de nettoyage du quartier commencèrent à lever les sourcils. Puis, les riverains interloqués se mirent à poser des questions. Enfin, ce qui devait arriver arriva, explique Petra : « des hommes se mirent à chercher des femmes ». Ils sonnèrent à la porte du rez-de-chaussée, convaincus de pouvoir ainsi s’offrir les services de prostituées.

 

Crédit photo : alive architecture

Crédit photo : alive architecture

 

Un beau jour, des policiers se rendirent chez Petra et Stijn pour leur expliquer qu’il leur était interdit de lancer ce type de commerce dans le quartier : « you cannot start a red light district here« . Après avoir expliqué qu’il s’agissait en réalité d’une installation artistique, ils furent invités à expliquer le projet auprès d’associations et de mandataires communaux… lesquels manifestèrent leur intérêt mais les invitèrent poliment à changer de terrain.

 « They were saying ‘this is very interesting what you did, but why aren’t you using your energy in order to do something in Rue d’Aerschot, because there we have a real problem’. And this is how everything started. So, I was thinking ‘oh, I want to be finished with the issue of prostitution’. But, actually, it was just the beginning »

 

L’année suivante, Recycl’Art organisa un événement artistique sur le territoire de la « Jonction ». Petra prit la balle au bond et profita de l’occasion pour lancer – avec Stijn Beeckman et Barbara Roosen – un projet intitulé « Infrared ». Le but : interroger et stimuler les interactions entre les différents usagers de la rue d’Aerschot. Cette rue c’est un va-et-vient continu de wagons et en contre-bas des flux permanents de voyageurs, de passants, de badauds et bien entendu de voitures, avançant à pas d’homme. Petra décide d’y peindre des flèches, sur le sol, à hauteur de 8 bâtiments laissées à l’abandon. Elle entend ainsi embellir ce tronçon de rue et susciter une première interaction avec les habitant(e)s du quartier.

« I was starting by acting, just by painting fleches on the floor ground. I was painting them, so that  I was making a proposal for how to use the vacant spaces in the street, because there are eight vacant vitrines on the ground floor and they are not used, they are completely unused. So, they are closed, they’re ugly, they’re dirty. So I painted fleches »

 

2.-FLASH-PAINT

Crédit photo : P. Pferdmenges

 

Il est 7 heures du matin. Petra peint les flèches. Et, une heure s’écoule sans qu’aucun passant, ni aucun(e) habitant(e) de la rue, ne l’interrompe ou ne lui adresse la parole. A 8 heures précises, Petra a enfin son premier contact avec la vie locale. Une patrouille de policiers. « Je fais ça pour mon PhD en architecture », explique-t-elle. Les policiers éclatent de rire et l’invitent à se rendre avec eux au commissariat de la place Liedts. Elle en ressort un peu bousculée, un seau et une éponge à le main, puis retourne sur les « lieux de l’infraction » et se met à frotter le sol énergiquement, comme cela lui avait été ordonné par la commissaire en chef. Alors qu’elle est occupée à nettoyer le sol, elle a droit à un premier contact avec les filles de la rue, qui lui demandent tout naturellement ce qu’elle fait là. Certaines embranchent la conversation et commencent à lui parler de ce qui manque dans cette rue et de ce dont elles ont aujourd’hui le plus besoin.

“I was washing it off, and women where starting to tell me what were their needs for the street. One of the women she said for instance “I need better clients”. This is why I [started] an installation of handing flowers to men (…). They could pick up the flowers and hand it over to the women, and by this I would give better clients to the women”  (Petra Pferdmenges, 25 juillet 2015)

 

 

 

D’autres filles lui expliquent que ce qui fait réellement défaut dans le quartier de la rue d’Aerschot c’est un lieu où manger le midi qui change un peu des snacks de la place Liedts ou de la rue de Brabant. Pour répondre à cette demande, Petra a lancé le « Piadina Wagon » : un restaurant ambulant qui sert des piadine ; des pains italiens à base de farine de froment, de saindoux ou d’huile d’olive.

.

 

Autre expérience intéressante et marquante : la mise en place d’une exposition de photos sur le mur qui se trouve en contre-bas de la voie de chemin de fer. Les passants, les habitants, mais aussi les membres des associations locales et les politiciens locaux furent invités à proposer des transformations de l’espace public en retouchant eux-mêmes les photos exposées.

 

 

“Architecture is about spacial design. Right? I think it is very conventional to say that architecture is about buildings, about the public space, the public realm. It is all about built space… normally. But what I’m interested in is not the built space but the lived space. So, this means (…) that I’m using the built space in order to make lived space. This is why it is called alive architecture (…). It is always about making a minimum in order to achieve a maximum” (Petra Pferdmenges, 25 juillet 2015)

 

En 2013 et 2014, d’autres initiatives virent le jour, avec pour objectif de créer du lien social dans le quartier. Au numéro 92 de la rue d’Aerschot, se trouvait un bâtiment vide – aujourd’hui démoli – occupé du 1er juin au 14 juillet 2014 par un collectif d’artistes baptisé « Rirbaucout » (un clin d’oeil au quartier voisin de « Ribaucourt »). Installés au rez-de-chaussée, les membres du collectif ont cherché à montrer une autre image de la rue, mais aussi à lancer une dynamique sociale dans le quartier… en se réinventant travailleurs du bien-être » (AE).

C’était l’occasion de créer des rencontres entre tous les publics – voyageurs, badauds, travailleurs-euses du sexe, clients, riverains, passants, ceux du trottoir côté vitrines ou ceux qui rasent le mur de la voie ferrée  – bref, tous ces publics qui parcourent la rue, se croisent, mais ne se rencontrent pour ainsi dire jamais. Loin des grands projets de développement ou de revitalisation ubaine, ce collectif (en coll. avec OKUP, L’Escaut et P. Pfermenges) a utilisé les moyens du bord afin pour créer un lieu « vivant ».

Crédit photo - Coll. Rirbaucout

Crédit photo – Coll. Rirbaucout

A travers une exposition photo, un service de catering pour “les filles”, des ateliers de maquillage, des cours d’aérobic, la rédaction d’un journal de quartier… des relations avec et entre les habitants du quartiers se sont peu à peu développées. Il y a toute une poésie qui se dégage des activités, pourtant ordinaires. L’expérience s’est clôturée par un marathon de dessin ; toute une nuit à dessiner en présence d’un modèle masculin nu. Ce dernier évènement a notamment été marqué par le regroupement de nombreux passants à l’entrée, étonnés de voir ce type d’activité se développer dans la rue, et offrir aux habitants de nouvelles occasions d’échange et de discussion. Mi-juillet 2014 l’expérience s’achève pour laisser place aux pelleteuses et boules de démolition. Que verra-t-on apparaître à la place ? Affaire à suivre …

_

Par Fatine et Mathieu

 

Capture d’écran 2015-08-08 à 11.46.21

Crédit Photo : Rirbaucout

 

 

Liens :

 

 

 

Leave a Reply