Bruxelles : à quand une décolonisation l’espace public ?

Les traces de la propagande coloniale sont encore bien présentes dans nos rues, nos parcs et nos cimetières, et cela sans le moindre commentaire explicatif. Si vous vous baladez en ville, vous trouverez une kyrielle de noms de colons, d’explorateurs, de banquiers, d’hommes d’affaires, de mercenaires et de militaires… mais aucune référence à l’artisan de l’indépendance congolaise, Patrice Lumumba.

Au sein de certaines grandes institutions culturelles (telles de BOZAR) et de certaines administrations publiques (comme la commune d’Ixelles), la question irrite et dérange, comme l’ont montré Amélie Mouton et Pedro Monaville dans leur article intitulé « Nos mémoires acides », paru dans le dernier numéro du journal Médor (n°5, 2016).

On y est donc allé de notre petite contribution. On s’est procuré le livre de Lucas Catherine « Promenade au Congo. Petit guide anticolonial de Belgique » (Aden, 2010) et on a cartographié les références à l’histoire coloniale belge dans les rues de la capitale. Le résultat est saisissant : l’espace public ne contient pas de référence à l’oppression du peuple congolais et à son accession à l’indépendance, mais est truffé de signes de reconnaissance publique à l’égard des colons et à l’égard de plusieurs personnes directement mises en cause dans le rapport Casement, comme le Major Pétillon et le Général Jacques.

Si vous souhaitez compléter la carte des « références au passé colonial belge au Congo » – y ajouter des points supplémentaires ou suggérer de petites améliorations – n’hésitez pas à nous faire signe (info@dewey.be). A quoi ça sert ? Eh bien, à mettre la question en débat et à s’inspirer des expériences d’autres localités européennes telles que Wedding, quartier populaire du nord de Berlin qui a décidé de changer certains noms de rues.

 

 

Comments

  1. Brieuc Heyvaert

    Super initiative et carte très bien faite d’un point de vue technique.
    De manière générale, j’approuve l’idée de baptiser certaines rues/avenues/places aux noms de héros de la décolonisation (Gandhi, Lumumba, Mendes-France, Soekarno…) et je trouve aussi qu’il faudrait supprimer celles aux noms de grands « criminels de guerre » de l’époque (ex: Stanley).

    Néanmoins plusieurs observation critiques
    D’abord je pense qu’assimiler le nom actuels des lieux publics à de la propagande coloniale est une erreur et un mensonge militant. Il ne s’agit en aucun cas d’une apologie de la colonisation. Le but n’est que rappeler les grands évènements de l’histoire et leurs protagonistes, sans jugement de valeur. Exemple de la rue des colonies: il ne s’agit que d’un épisode dans l’histoire de Belgique, pas d’un éloge à cet épisode. De plus, le fait de rappeler des grands entrepreneurs/ingénieurs Belges, au Congo ou ailleurs, n’est pas non plus -en soit- une légitimation de la Colonisation (ex: le chemin de fer). Il y en a aussi qui sont partis en Russie, en Suède, et ailleurs. Il ne s’agit donc, selon moi, que de faire l’éloge des acteurs du progrès techniques peut importe où.

    Deuxième critique: vous incluez dans la rubrique « Autres » de votre carte des lieux qui n’ont RIEN A VOIR avec le Congo : statue de Godefroid de Bouillon par ex. Il faut dont les supprimer de votre carte pour gagner en crédibilité.

    Troisième critique: tous les gens ayant un lieu avec le Congo n’ont pas d’office été auteurs ou complices des exactions coloniales (ex: Orts). Or le livre « Promenade au Congo. Petit guide anticolonial de Belgique » présente sous cet angle tout les noms liés au Congo. Il faut faire la part des choses et ne pas mettre tout le monde dans le même sac de manière simpliste.

    Quatrième observation: il faudrait arrêter de lier Leopold II au Congo de manière systématique. Oui pour les batiments ayant un lieu direct avec le Congo, non pour ceux qui n’ont rien à voir avec.

    Enfin, et ceci reprend ce que je disais au début: toute référence au Congo n’est pas, en soi, un éloge et une justification de la Colonisation. Il faut distinguer histoire et politique. Or le militantisme peut parfois aveugler et tout analyser sous l’angle colonial, ce qui n’est pas le cas.

    Hormis ces 5 observations, je trouve que l’idée est bonne et je la soutiens

  2. dewey Author

    Bonjour Brieuc, merci pour ce commentaire :

    (1) C’est vrai. Certains points de la carte ne relèvent pas forcément de la propagande coloniale. C’est d’ailleurs pourquoi la carte est intitulée « références au passé colonial ». En quoi cela vous semble-t-il imprécis ou incohérent ?
    (2) sur ce deuxième point, on vous donne raison. ça a été supprimé
    (3) de nouveau, la carte dresse l’inventaire des « références au passé colonial belge au Congo » (et pas seulement des traces évidentes d’apologie du colonialisme), ce qui inclut « Av. du Congo », rue du Katanga »,
    (4) Alors, est-ce que vous pouvez être plus précis? Le palais de Justice faisant référence à Léopold II mais ayant été achevé avant la conférence de Berlin, on pourrait en effet l’enlever de la carte …
    (5) vous dites « toute référence au Congo n’est pas, en soi, un éloge et une justification de la Colonisation ». Merci d’apporter cette nuance : mais, de nouveau, vous remarquerez que la carte ne s’intitule pas « éloge et justification de la colonisation » ;-). Quant à l’article, il ne dit qu’une seule chose : si l’on fait l’addition de toutes ces références bruxelloises au passé colonial belge – des années 1880 aux années 1960 – on obtient un récit qui ne parle que d’exploration, de « libération du peuple congolais » par les belges (sic), d’entrepreneuriat belge en Afrique, d’industrie belge en Afrique … Bref, c’est un récit qui passe sous silence le partie la plus importante de cette histoire : l’exploitation, la prédation à l’égard des ressources naturelles du pays etc. C’est un simple constat (que vous semblez d’ailleurs partager;), qui peut s’accompagner ou non d’une démarche militante, mais qui me semble difficilement contestable. Au plaisir de continuer cette discussion avec vous
    Belle après-midi

  3. JF

    Pourquoi effacer tout un pan de l’histoire de la Belgique?
    Faut il systématiquement gommer une histoire, simplement parce qu’elle ne vous plait pas? Quel est le sens de rebadger la rue des Colonies? De renommer le musée de Tervuren?
    L’objectif c’est quoi? Nier l’histoire ? Modifier le monde selon vos désirs et vos orientations du moment?
    Pardon mais…c’est pas un peu con? Sérieusement?

    • dewey Author

      Cher JF, est-ce que vous pourriez développer ? Je ne comprends mal votre point de vue. Avec cette carte, on ne parle pas d’effacer ou de gommer, on parle d’ajouter des plaques explicatives dans certains quartiers de Bruxelles, qui taisent, qui passent insidieusement sous silence la réalité de l’époque coloniale (quartier des casernes, rue Brederode…). Et, puis, on peut (c’est comme ça, on est en démocratie) discuter de la question de savoir s’il faut (ou pas) effacer 1 ou 2 noms dont il est aujourd’hui impossible de continuer à honorer la mémoire (« Général Jacques », « Pétillon », « L. II »…).

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