Piétonniers à Bruxelles : la convivialité à tout prix ?

Pourquoi créer une zone piétonne ? La réponse semble tomber sous le sens : si l’on crée des espaces publics plus conviviaux c’est forcément pour améliorer le cadre et la qualité de vie des habitants. Lesquels ? On serait tenté de dire « tous » : tous les habitants sans exception. Mais, à Bruxelles, entre « convivialité » et « entre-soi », le pas est (très) vite franchi …

Je fais partie de ceux et celles qui ont sorti leur nappe de pic-nic, il y a quelques années, pour s’installer place de la Bourse et demander que l’on rende le centre-ville aux piétons. Sur ce point, je n’ai pas changé d’avis : Bruxelles compte trop d’espaces dédiés à la circulation automobile et pas assez d’espaces de rencontre et de convivialité. Aujourd’hui, la cause a en partie été entendue. Sauf que – dans une ville où les pouvoirs publics n’ont plus tout à fait le contrôle de l’immobilier et où les communes cherchent de surcroît à attirer des habitants à « plus haute capacité contributive » – les nouveaux « espaces de convivialité » ont vite fait de se transformer en « entre-soi ». Le problème a été évoqué le mois dernier sur l’antenne de Radio Panik (105.4 FM), lors du deuxième volet de l’émission « centre-ville à coeur ouvert ».

« D’un côté, il y avait un groupe de personnes qui voulaient cette verdurisation, cette possibilité d’embellir cette artère. Mais, d’un autre côté, il y avait la peur de cette gentrification (…). Une verdurisation ça veut dire que ça devient plus vivable, ce qui peut vouloir dire des places huppées, des endroits où ça devient plus chers, et où les gens ne peuvent plus se payer le loyer » (Yannick, militant de Pic Nic The Street, interviewé dans le cadre de l’émission « centre-ville à coeur ouvert #2″)

 

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Le loyer moyen pour un appartement dans le quartier populaire Anneessens était de 496 EUR en 2010 (source : Monitoring des Quartiers).  Aujourd’hui, il avoisine les six cents euros ; cher pour une zone où le revenu moyen par habitant est inférieur à 10.000 EUR par an. Cette hausse des loyers n’est pas seulement le problème des bas revenus – pour qui le quartier est déjà devenu tout à fait impayable – mais aussi le problème des revenus moyens qui risquent de se retrouver pris dans un quartier uniforme, sans mixité sociale… et encore plus embouteillé qu’au départ : les anciens habitants ayant été « encouragés » à s’installer loin de leurs écoles et de leurs lieux de travail.

« Moi, je trouverais ça horrible d’entendre qu’il y a des élèves tout à coup qui doivent se lever plus tôt le matin pour aller à l’école par exemple, juste parce que leurs parents ont été forcés de déménager » (Sara, enseignante du quartier, interviewée dans le cadre de l’émission « centre-ville à coeur ouvert #2« )

Symptome de cette gentrification : la place Fontainas. Juste à l’entrée de la future zone piétonne – à la limite entre le quartier populaire Annessens et les quartiers aisés Saint-Géry, Rouppe et Notre-Dame du Bon Secours – se trouve aujourd’hui un panneau qui annonce la mise en vente d’appartements de luxe. Si la ville continue sur cette voie, on pourra  dire – dans ce quartier Fontainas – que la circulation automobile aura reculé de quelques centaines de mètres, et que, dans le même mouvement, quelques centaines de personnes auront été dégoûtées de vivre dans le quartier. Tout le monde en sortira perdant, à commencer par les militants de Pic Nic The Street, dont l’ambition n’était certainement pas de dégoûter les petits revenus d’habiter à proximité de leur lieu de travail.

Appart’ de luxe à l’entrée de la future zone piétonne. Curieuse conception de la « convivialité ».

 

« C’est trop cher pour nous la location. C’est ça qui est triste. Avant, dans un village, on grandissait, on habitait, on travaillait là, donc on pouvait construire un tissu social et donc s’investir. Mais la plupart des gens qui viennent à Bruxelles, je ne sais pas … En tous cas, les loyers pour les vieux habitants c’est impossible, à moins que ce soit dans le social, mais là il y a plus de dix ans d’attente (…). Je trouve que quitter Bruxelles c’est pas une solution, parce qu’alors ça fait des cités-dortoirs » (Habitante du quartier Anneessens, interviewée dans le cadre de l’émission « un centre-ville à coeur ouvert #2 »)

 

Qu’en est-il à Schaerbeek ? Les habitants des éventuelles futures zones piétonnes de la commune sont-ils menacés par des hausses de loyer ? La question mérite d’être posée. En 2012, le SP.A a soutenu un projet de piétonnier à la rue de Brabant, afin de « valoriser l’offre commerciale ». Une proposition avortée, car incompatible avec leur proposition de « moratoire sur la suppression des places de stationnement ». Quelques centaines de mètres plus haut, l’administration communale de Saint-Josse a fait état de sa volonté de développer un piétonnier dans les carrées des rues Linné, des Plantes, de la Prairie et de la Rivière. En 2013, la commune de Schaerbeek a enfin commandé au bureau d’architectes l’Escaut une étude visant à piétonniser la rue d’Aerschot …

 

Pour aller plus loin …

 

Par Mathieu

Comments

  1. BC

    Le problème à Schaerbeek semble être d’un autre ordre. Alors que les projets de réaménagement du Quartier Brabant sont avortés, ‘faute de moyens’, la commune annonce un réaménagement complet de l’avenue Louis Bertrand (potentiellement une des plus belles voiries de la commune) à l’horizon 2016. Il ne s’agit pas ici de gentrification, mais plutôt d’un déséquilbre de l’investissement destiné à l’amélioration de l’espace public. La Commune ne semble pas avoir comme priorité, justement, la convivialité dans ce qui est un de ses quartiers le plus défavorisés. Peur de la gentrification? Ou peur de se facher avec ses habitants à “plus haute capacité contributive”?

  2. dewey Author

    Merci B. pour cet excellent commentaire. On écrira donc un deuxième article (meilleur que celui-ci) au sujet des projets de piétonniers avortés …

  3. Thor

    La gentrification et les piétonniers ne sont pas nécessairement liées. Si une gentrification suit la piétonnisation ça montre que la plus part des gens qui peuvent payer l’aime, ce qui veut dire plus ou moins que les personnes aiment les piétonniers. ipso facto, on devrait installer plus de piétonniers pour que toute la popluation puisse beneficier, qu’ils soient riches ou pauvres.

    • dewey Author

      il est possible de piétonniser sans gentrifier. Mais, dans les zones situées à la lisière entre quartiers chics et quartiers populaires, … c’est compliqué. tt à fait d’accord avec votre dernière phrase. mathieu

  4. Ilan

    Je suis complètement d’accord avec le commentaire de Thor. Pourquoi devrait-on s’interdire d’améliorer le cadre de vie de certains quartiers sous prétexte que cela inciterait plus de gens à y habiter. N’est-ce pas justement le but recherché, que celui de rendre plus attractif le centre de Bruxelles? Peut-être qu’une telle initiative de piétonnier donnera des idées similaires aux autres communes quand elles verront l’attrait qu’elle suscitera.

    • dewey Author

      Un exemple qui va dans le sens de ce que vous dites : la Cité Terdelt qui est passée en semi-piétonnier en 2012. C’est devenu un quartier très agréable, qui de fait (le bâti appartenant à une société de logement public) est resté abordable.

  5. Alexandrina

    Complètement d’accord avec BC ! Clerfayt « ne manque pas de moyens » pour verduriser le haut (par exemple le réaménagement complet de la place des Chasseurs Ardennais et des rues avoisinantes) de sa commune (dont les habitants bénéficient souvent de beaux et grands jardins privés), à grands frais (+ ne pas oublier l’entretien !) alors que le bas en manque cruellement : voir les 3 arbres miteux de la place Liedts, l’absence complète de verdurisation des place Lehon et de la Reine, le « passage-escalier » incroyablement laid et coûteux de la Cage aux Ours (mais où est la verdure?) et le manque total de vision du réaménagement de la place d’Houffalize. On pourrait encore citer l’absence d’arbres dans les quartiers défavorisés, les éclairages « glauques » de leurs rues à la tombée du jour, leur manque d’entretien au jour le jour, sachant que leur densité de population est plus grande que dans le « haut » de la commune.
    Oui, clairement, le bourgmestre souhaite (et ce, depuis longtemps, si pas toujours) dissuader les personnes à faibles revenus de s’installer/rester dans « sa » commune au bénéfice d’habitants « à plus haute capacité contributive » !

  6. dewey Author

    Bonjour Alexandrina, merci pour ce commentaire. Un contre-exemple toutefois : la place Gaucheret, quartier populaire Schaerbeekois qui a été clairement embelli et verdurisé.
    Il serait intéressant de montrer, dans les chiffres, le lien entre « bas revenus » et vétusté des équipements publics. ça vous intéresserait de travailler là-dessus avec nous? On pourrait croiser la répartition des budgets de réaménagement avec les statistiques de revenu moyen par quartier… http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/fisc/. Mathieu

  7. Bien content que le débat soit né de nos émissions sur Radio Panik 105.4, produites par Inter-Environement Bruxelles. Schaerbeekois de coeur, vous pouvez m’appeler à débatre avec vous de la question.

    Au cours de l’enquête radio, une équation politique m’a sauté aux yeux, alors je l’ai posée à des observateurs sociaux engagés: La gentrification est-elle une conséquence, ou une finalité de ce projet de redynamisation du centre-ville par le piétonnier? « C’est le but » me répondait-on par deux fois.

    A Schaerbeek aussi, la distribution des efforts de rénovation urbaine qui font « bling-bling » ne sont pas le fruit du hazard, je crois qu’on peut poser cette hypothèse sérieusement (y compris pour Gaucheret ou Pavillon ou encore Parc de la Senne CQ Masui) ou les parcs fleurissent autour des lofts et d’une tour de logement de luxe à contenter.

    D’une part on mise sur l’attractivité pour consolider les rentrées fiscales (ça reste à prouver, les riches n’aiment pas régler les impots qu’ils devraient, et l’évitent volontiers, par ex avec un domicile de complaisance). De l’autre, faire chasser par le marché immobilier (en hausse vertigineuse dans les quartiers pauvres) une population jeune et sans emploi, c’est s’exonérer des devoirs locaux de politique sociale, d’enseignement, de services, d’animation, prévention, de culture adaptés… Et finalement durcir l’accès à l’aide sociale, comme dans bcp de communes. C’est donc ça la vision libérale de l’action démographie locale sur les strates et les classes sociales. Notre vigilance de citoyens est de savoir si l’effort public de rénovation urbaine et d’investissements est correctement distribué, et s’il recherche le premier critère de l’action publique: l’égalité d’accès.

    Bonne continuation,
    Liévin

  8. dewey Author

    Bonjour Liévin, merci pour ce commentaire. Je serais intéressé d’en savoir un peu plus sur les finalités/conséquences des politiques de rénovation urbaine à Gaucheret et Masui. Est-ce que tu as un moment de libre la semaine prochaine? Bien à toi. Mathieu

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  1. Bruxelles : lieu de vie vs. lieu de transit

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