Bruxelles vue par les cinéastes d’autrefois : Gaston Schoukens (#1)

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent la Belgique. Huit jours plus tard, le 18 mai 1940, le Soir cesse de paraître. Les Rossel – propriétaires du journal – redoutent que leur outil ne soit démantelé, comme cela avait été le cas lors de la première guerre mondiale. Marie-Thérèse Rossel, l’actionnaire principale, et René Fuss, le rédacteur en chef, cherchent à défendre l’indépendance de la rédaction. En vain. En juin 1940, le Soir paraît sous le contrôle de l’autorité allemande. Une nouvelle équipe de rédaction se met en place : des journalistes séduits par « l’ordre nouveau », ou plus simplement attirés par l’idée de travailler pour un journal de renom… La résistance belge assiste impuissante au succès de ce journal collaborationniste, ce nouveau Soir : ce « Soir volé ».

Trois ans plus tard, en 1943, un groupe de résistants (FI) mené par Marc Aubrion et René Noël décide de distribuer, au nez et à la barbe de l’occupant nazi, un faux soir qui aurait toutes les apparences du vrai, mais n’en serait qu’une parodie.  Le 9 novembre 1943, le tirage du véritable journal est incendié. On lui substitue le “faux soir”, tiré à 50.000 exemplaires, et distribué dans les kiosques de la capitale. Les promoteurs du « faux soir » n’ont pas seulement pour intention de se moquer de l’occupant, mais aussi et surtout de désintoxiquer les 200.000 lecteurs du quotidiens, enclins à prendre pour argent comptant les communiqués de la Wehrmacht …

Dix ans plus tard, le cinéaste bruxellois Gaston Schoukens sort « Un soir de joie » ; un film humoristique qui retrace l’histoire du « faux soir ». Il y présente le canular de Marc Aubrion comme le sommum de la zwanze bruxelloise. Le film fut un immense succès, lors de sa sortie en salle. Quant à la critique, elle se divisa entre ceux qui trouvaient le film trop « léger » et ceux qui saluèrent l’évocation de la zwanze bruxelloise : humour gouailleur typiquement bruxellois, teinté d’autodérision, et généralement associé aux dialectes locaux que sont le brusseleir et le marollien …

« Ce fut un succès pour le tiroir-caisse, mais il souleva aussi des débats passionnés entre ceux qui trouvaient que l’on ne pouvait pas traduire pareil acte de bravoure en film de fiction, si documenté et proche de la réalité qu’il puisse être. Aubrion, le « père » du faux « Soir », félicita Schoukens, mais Demany parla d’une lamentable caricature. Le problème ? Schoukens n’avait pas voulu faire un film dramatique mais souligner l’esprit frondeur des résistants. Jean-Pierre Loriot, le célèbre comédien bruxellois qui y faisait ses débuts, avait tranché le débat, dans nos colonnes : C’était plus une réécriture de « Bossemans et Coppenolle » qu’une version bruxelloise de « La traversée de Paris »… Au téléspectateur de juger en cette soirée de fête nationale. » (Ch. Laporte, Le Soir, 20 juillet 2004)

 

 

Leave a Reply